1950
: Une Masopolotaine, "Reine d'un jour."
|
|
[Masopolitain
= habitant de Masevaux.]
|
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la télévision
n'est pas encore le média de masse qu'elle est aujourd'hui. En 1950, la
France ne compte que 3794 postes de télévision et les émissions
diffusées par l'émetteur de la Tour Eiffel ne peuvent être captées
que dans la Région Parisienne.
A cette époque, le média populaire, c'est la radio. En 1953, neuf
foyers sur dix en sont équipés. La radio est alors le moyen le plus
pratique pour recevoir les informations et elle offre aux familles leur
principal divertissement. La radio s'écoute collectivement : en soirée,
on se presse autour du poste pour suivre feuilletons, jeux,
radio-crochets, concerts et oeuvres dramatiques.
En France, la radio est alors un monopole de l'Etat. La RTF (Radiodiffusion-Télévision
Française) émet sur trois chaînes nationales. Mais celles-ci sont
fortement concurrencées par des stations privées plus attrayantes basées
à l'extérieur des frontières françaises, d'où leur nom de radios périphériques.
Il s'agit de Radio Luxembourg, de Radio Monte Carlo et d'Europe n°1 qui
émet depuis la Sarre.
|
Les animateurs vedettes des radios périphériques sont des stars
nationales adulées par les foules. Ainsi sont restés dans la mémoire
des Français qui ont vécu à cette époque les noms de Zappy Max,
Jean-Jacques Vital, Marcel Fort, Lucien Jeunesse et surtout Jean Nohain,
le présentateur de l'émission "Reine d'un jour".
|
Jean Nohain. |
Jean
Nohain, de son vrai nom Jean-Marie Legrand (1900-1981) suit
d'abord une formation d'avocat avant de se lancer dans le
journalisme pour enfants. Il entre à la radio en 1923 où il
anime des jeux et émissions pour la jeunesse sous le surnom de
Jaboune.
Pendant
la Seconde Guerre mondiale, il s'engage en 1939 et participe aux
batailles de juin 1940. En 1942, il rejoint les Forces
Françaises Libres. Lors des combats pour la libération de Paris
en 1944, il est grièvement blessé par une balle dans la mâchoire.
Après
la guerre, malgré une paralysie gauche du visage due à sa
blessure, il reprend ses fonctions d'animateur à la radio,
faisant le succès de nombreuses émissions, dont "Reine
d'un jour". Dès 1950, il entre également à la télévision.
Jusqu'en 1972, il est à l'origine de nombreux concepts d'émissions
de jeux et de variétés.
Origine
de la photo : https://www.babelio.com/auteur/Jean-Nohain/152090 |
|
De 1948 à 1955, sur Radio
Luxembourg, tous les
mardis à 20 Heures,
les Français se passionnent pour cette émission sponsorisée par le
savon Le Chat et la lessive Catox. Chaque
semaine, grâce à ce programme, une auditrice inconnue vit une expérience
inoubliable. Non seulement l'heureuse élue accède soudainement à la
gloire médiatique, mais son rêve le plus cher est réalisé et, privilège
non négligeable en ces difficiles années d'après-guerre, elle est
couverte de somptueux cadeaux.
Pour l'émission du 31 janvier 1950, l'élection de la reine d'un jour a
lieu à Mulhouse, dans la grande salle située autrefois au bas de la
rue des Trois-Rois, communément appelée "s'Volkshüss"
[das Volkshaussaal ou Maison des syndicats]
Le succès de l'émission se mesure à l'empressement des Haut-Rhinois
d'acheter les places pour le spectacle. Deux jours avant la
manifestation, tout est complet et c'est une véritable foule qui se présente
dès l'ouverture des portes. A l'entrée de la salle, sous la
surveillance de deux messieurs vêtus de bleu, se dresse une urne : les
candidates y déposent la feuille où elles ont inscrit le vœu qu'elles
rêvent de voir exaucé. Elle se remplit à vue d'œil, tout le monde
veut devenir "Reine d'un jour"!
|
Le spectacle commence. Bien en
vue sur la scène, une table sur laquelle est vidé le contenu de
l'urne. Sous le contrôle de l'huissier, Maître Mulhaupt, quatre
membres de la production ouvrent, lisent et trient les listes de vœux.
Pendant cette opération, le public est diverti par un riche programme
de variétés. L'orchestre "Roger-Roger" assure l'ambiance en
alternance avec des chanteurs et des fantaisistes.
|
Puis les
spectateurs sont subjugués quand apparaît la mascotte de l'émission,
le géant Atlas. Âgé alors de 28 ans, de son vrai nom Fernand
Bachelard, Atlas mesure 2,35 mètres et pèse 220 kilogrammes.
Il amuse la salle en lui faisant deviner combien il faut de
tissu et de cuir pour le vêtir de la tête aux pieds.
Photo
ci-contre : Atlas en compagnie de Jean Nohain.
Origine
de la photo : https://histoire-peruwelz.jimdofree.com/ |
|
|
Le dépouillement des vœux se
termine, suivi d'une pause de dix minutes. L'effervescence grandit chez
les centaines de concurrentes et redouble encore quand Jean Nohain entre
en scène. Il révèle les noms des 21 candidates retenues par les sélectionneurs
; joie des élues, amère déception des nombreuses recalées ! Tandis
que les musiciens se sont alignés du côté gauche, les 21 femmes appelées
montent une à une sur le côté droit de la scène. Une nouvelle sélection
retient 5 prétendantes, puis les 16 éliminées désignent les deux
finalistes.
Le choix final de la "Reine" est tranché par l'applaudimètre,
et c'est Madame Alice Buttighoffer de Masevaux qui devient "Reine
d'un jour".
|
|
La
vedette du jour est née Alice Finck le 6 décembre 1922 à Masevaux.
Son père, Léon Finck, originaire de Mortzwiller, est épicier dans la rue du Moulin. En 1948,
elle épouse Robert Buttighoffer de Willer-sur-Thur, garde forestier à
Masevaux depuis 1945. Le couple habite la maison sise aujourd'hui au
n°6 rue du Chariot. Au moment de l'émission, Alice vient
d'avoir 27 ans et elle est la maman de trois enfants : Sonia, âgée
d'un an et demi, et deux jumeaux de
cinq mois, André et Hubert.
Le
vœu d'Alice :
Alice Buttighoffer est venue à l'émission dans l'espoir
d'obtenir que ses deux jumeaux de cinq mois, atteints de la
coqueluche qui les fait tousser cruellement, puissent faire un
voyage en avion pour être guéris de leur maladie. Ce vœu
simple, maternel, à la fois spectaculaire et pourtant
facilement réalisable, a emporté l'adhésion des
sélectionneurs et du public.
|
|
Coqueluche
et vol en avion.
La
coqueluche est une maladie respiratoire due à une infection
par une bactérie. Elle se manifeste par un écoulement
nasal, de la fièvre et une toux parfois violente. Dans la
première moitié du XXe siècle, le Dr Matter a préconisé
de traiter la coqueluche par un vol jusqu'à 3500 m
d'altitude dans un avion non pressurisé. Selon la science
médicale actuelle, un tel vol, s'il ne guérit pas la maladie,
peut
soulager le malade en raison du changement de pression
atmosphérique et de la diminution du taux d'oxygène.
Aujourd'hui la vaccination contre la coqueluche est
obligatoire et quand la maladie se déclare, elle est traitée
par des antibiotiques. Cependant il existe toujours des
aéro-clubs qui proposent des "vols coqueluche"
pour les adeptes de médecines alternatives ou ceux pour qui
les antibiotiques ont été inefficaces.
|
|
|
Voilà donc Alice désignée "Reine du Jour" : revêtue du manteau de pourpre, elle
est escortée jusqu'à son trône suivie par ses pages. Ceux-ci lui
présentent l'impressionnante liste des cadeaux offerts par les
partenaires de l'émission et les commerçants locaux. Le journaliste en estime la valeur à plusieurs centaines de milliers de Francs. [100
000 F de 1950 valent environ 3000 Euros].
Parmi les plus notables : une chambre à coucher, un chariot de service,
des sacs à main, un vélo
de luxe, une veste de fourrure, un poêle à feu continu, une lampe de
table, de la lingerie, des valises, un service à liqueur, des couverts
en argent, des stylos et stylomines en or, des coupons de tissu, du
papier peint à poser dans l'appartement, des caisses de bière et de
champagne, un repas pour deux au restaurant "Le Guillaume
Tell" ainsi que les voyages gratuits sur tous les trajets de la CTA
pendant toute l'année. [La CTA est
la société mulhousienne d'autocars qui dessert notamment la ligne Mulhouse-Masevaux-Sewen]
La
vice-reine, modeste employée de la piscine, doit se contenter d'une
cafetière et les autres concurrentes de petits lots de consolation.
Alice,
reine d'un jour, dans tous ses atours.
Origine
de la photo : Famille Buttighoffer. |
|
|
|
Épilogue.
La
belle histoire
d'Alice Buttighoffer se conclut par le vol en avion, et comme elle en
avait rêvé, les jumeaux ont été guéris de la coqueluche !
|
Sous le regard de
leur papa Robert (à gauche, collier de barbe)
André et Hubert, 5
mois, bien emmitouflés, sont installés dans l'avion avec Alice, leur
maman.
Origine
de la photo : Famille Buttighoffer.
|
|
|
En 1953, les Buttighoffer ont quitté Masevaux. Robert a poursuivi sa
carrière dans les Eaux et Forêts ; après avoir été en poste à Linthal,
puis à Abreschwiller (Moselle), il est revenu en qualité d'ingénieur
forestier à Saint-Amarin jusqu'à sa retraite en 1984. La famille s'est fixée
dans le village voisin de Mitzach.
Alice
est décédée à Oderen le 18 juin 2014 dans sa 92ème année.
Elle est enterrée à Mitzach aux côtés de son mari.
Origine
de la photo : Geneanet. |
|
|
Henri
Ehret, octobre 2023.
Contacter
l'auteur.
|
Pour
voir une Vidéo consacrée à l'émission "Reine d'un jour" cliquez
ici.
|
Sources :
- article du
journal "Le Républicain du Haut-Rhin" du 31 janvier 1950.
- informations
et photos de famille communiquées par M. André Buttighoffer, fils
d'Alice.
- nécrologie
de Robert Buttighoffer dans L'Alsace du 16 avril 2010.
- Geneanet :
arbres de Henri HOURDÉ (riton59
), Philippe DEVILLE (retrouvdev)
et Bernadette MALQUIT (bmalquit
)
- souvenirs de
Mme Georgette Wiesser de Masevaux.
- état civil
de la ville de Masevaux.
-
renseignements généalogiques fournis par M. Bernard Gebel.
-
renseignements sur la salle où s'est déroulée l'émission fournis par M. André
Perrin.
- Wikipédia.
|