En 1788, Marianne, une
jeune femme de Masevaux, mit au monde un
bel enfant qu'elle appela Martin. Hélas, le certificat de baptême du
petit ange était entaché des vilains mots de
"filius illegitimus". En effet, bien que Marianne l'ait
désigné catégoriquement, Louis, le galant avec qui elle avait conçu
le nouveau-né, n'en reconnut pas la paternité. Selon lui, Marianne n'étant
pas un parangon de vertu, il fallait chercher le père putatif de Martin
parmi d'autres amants de la belle.
Mais Marianne n'en démordait pas. Elle persistait à soutenir que
Martin était le fruit de sa relation avec Louis et elle était décidée
à légitimer leur progéniture. Elle n'avait nulle intention,
clamait-elle, de mener une vie de fille-mère, condamnée au célibat,
rejetée par sa famille et sujette à la flétrissure sociale. Et il n'était
pas question que Martin soit toute sa vie accablé de l'infamant
qualificatif de bâtard !
Louis devait donc assumer les conséquences de ses actes. Ses homonymes
à Versailles, leurs majestés Louis XIV et Louis XV, ne l'avaient-ils
pas fait en légitimant, à eux deux, pas moins de neuf enfants naturels
nés de leurs amours hors mariage ?
Mais Louis ne voulait rien entendre. Alors, Marianne l'assigna en
déclaration de paternité devant la justice seigneuriale. Après
enquête et audition des parties, le bailli rendit son verdict. Louis
fut déclaré père de Martin et condamné à verser à Marianne la
somme de 1000 livres en dommages-intérêts. Cependant, dans sa sagesse,
le bailli avait assorti sa sentence d'une clause restrictive : Louis
serait dispensé de payer cette somme s'il épousait Marianne.
1000
livres de 1788 équivalent à environ 11 000 Euros, avec
probablement un pouvoir d'achat supérieur, étant donné les
prix plus modiques de l'époque. |
Louis
n'hésita pas : entre vider sa bourse ou convoler en justes noces, il
choisit le mariage. Par acte officiel, il fit signifier à la partie
adverse qu'il acceptait de l'épouser.
"Voilà une affaire qui se termine bien !" disaient les
commères de Masevaux quand l'offre de mariage fut connue. Marianne
avait bien de la chance de régulariser aussi vite sa situation, de
retrouver son honneur à si bon compte et d'offrir un nom respectable à
son fils. Car, c'était malheureusement la dure réalité, la plupart
des filles-mères ne trouvaient jamais à se marier et vivaient leur
honte jusqu'à la tombe. D'autres abandonnaient leur progéniture à la
charité publique et fuyaient leur village pour recommencer une nouvelle
vie ailleurs.
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Le Conseil souverain n'accéda
pas à la demande de Marianne. Au contraire, il blâma cette mère qui
refusait d'accepter une union qui assurait la légitimité de son
enfant. Par ailleurs, les propos vengeurs attribués à Louis n'étant
pas prouvés, la cour confirma la sentence du bailli de Masevaux et
laissa à Louis sa faculté d'opter soit pour le paiement des 1000
livres, soit pour le mariage. Les juges rappelèrent que l'intérêt de
l'enfant passait par le mariage de ses parents.
La décision du Conseil souverain ne rétablit pas de sitôt l'harmonie
entre les géniteurs de Martin. Quand Marianne réclamait ses 1000
livres, Louis se bornait à répondre "J'épouse !" et ne déliait
pas les cordons de sa bourse. En somme, il voulait bien payer de sa
personne, mais pas de ses écus !
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Complément
:
En 1761, le
Conseil souverain avait eu à juger une affaire du même ordre. A
Strasbourg, un capitaine de cavalerie s'était épris de la fille
d'un tailleur. Emporté par la passion, il lui avait signé une
promesse de mariage qui prévoyait qu'en cas d'inexécution,
il paierait 6000 livres
de dommages-intérêts
à l'amoureuse abandonnée. L'officier s'étant détourné de la
belle, celle-ci l'assigna devant le magistrat de Strasbourg,
exigeant soit le mariage, soit le paiement des 6000 livres. Le
magistrat annula la promesse de mariage comme illégale mais
adjugea à la fille du tailleur la somme de 600 livres de dommages-intérêts. La demanderesse fit appel au Conseil souverain qui
confirma la décision du premier juge. Le capitaine gardait le
choix entre épouser ou payer : il préféra payer les 600 livres
et garder sa liberté.
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Sources.
Les
deux affaires jugées par le Conseil souverain sont tirées de la
"Petite gazette d'Alsace : journal historique et judiciaire"
publiée par M. de Neyremand, 1861.
Des
informations sur le sort des filles-mères au XVIIIe siècle ont été
trouvées dans : https://books.openedition.org/pur/17534?lang=fr
La
valeur des 1000 livres en Euros a été obtenue sur le site
'Convertisseur de monnaie d'Ancien Régime."
L'estimation
du pouvoir d'achat des 1000 livres est extraite de "Monnaies,
salaires et prix à travers l'histoire" de L.de Riedmatten, 1944.
Bâtards
de Louis XIV et Louis XV : Wikipédia.
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