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Samedi 20 août
1921 : au cœur de l'été, des enfants d'Oberbruck se baignaient dans le
torrent le Rimbach qui traverse le village. Soudain l'insouciante gaieté de
leurs ébats s'est pétrifiée : l'une des filles parmi les plus âgées du
groupe a sorti de l'eau un petit ballot enveloppé de papier d'emballage.
Elle l'a ouvert et y a trouvé avec effroi le cadavre d'un nouveau-né dont
la bouche était bourrée de papier.
La nouvelle de cette découverte macabre s'est rapidement répandue et bientôt
la rumeur publique a désigné la mère criminelle. Ce serait une jeune
fille d'à peine 18 ans, présente depuis peu dans le village et qui s'était
plainte de malaises quelque temps auparavant. Son nom : Simone W. [le
prénom et l'initiale du nom ont été changés],
une domestique accompagnant ses patrons venus en visite dans la famille des
industriels Zeller.
Interrogée par la gendarmerie, la jeune fille a longuement rejeté les soupçons
qui pesaient sur elle, mais elle a fini par reconnaître sa culpabilité
quand on lui a présenté une adresse inscrite sur le papier ayant enveloppé
le bébé : "Simone W. Remiremont."
Simone a passé alors des aveux circonstanciés. Originaire d'un village du
Bas-Rhin au nord de Strasbourg, elle avait trouvé une place d'employée de
maison au service d'une famille Zeller à Remiremont. Là, elle a eu une
liaison avec un jeune homme et elle était tombée enceinte.
Paniquée à l'idée de perdre son travail et d'être rejetée par ses
parents, elle s'est résignée à dissimuler sa grossesse. Elle y a réussi
tant à Remiremont qu'à Oberbruck où pourtant elle partageait une chambre
avec une autre domestique.
Dans la nuit du 5 au 6 août, elle a accouché d'un enfant de sexe féminin.
Afin de ne pas réveiller sa compagne de chambre, elle a fourré du papier
dans la bouche du nouveau-né pour l'empêcher de crier. Lorsque l'enfant
n'a plus donné signe de vie, elle s'est allongée un moment pour se
reposer.
Vers 6 h 30 du matin, elle a enveloppé le bébé
mort dans du papier, a lesté le paquet et l'a jeté dans le torrent le
Rimbach qui coule à une vingtaine de mètres de la maison Zeller. Puis, après
avoir lavé les traces de l'accouchement à la fontaine, elle s'est présentée
à son travail comme d'habitude.
A l'issue de ses aveux, Simone a été arrêtée et écrouée.
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Le
Rimbach dans sa traversée d'Oberbruck.
Origine
de la photo : carte postale.
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Le 21
octobre 1921, Simone W. a comparu devant la cour d'assises du Haut-Rhin à
Colmar. A cette époque, l'infraction spécifique d'infanticide figurait
dans le code pénal, définie comme le meurtre d'un nouveau-né vivant
dans les trois jours suivant l'accouchement.
[Depuis 1994, la notion d'infanticide a
été supprimée du Code Pénal, remplacée par celle d'homicide
volontaire sur une personne vulnérable en raison de son âge. Le meurtre
d'un bébé à la naissance est considéré comme tout meurtre sur mineur
de 15 ans.]
Au procès sont intervenus en tant que témoins
les employeurs de Simone, la jeune fille d'Oberbruck qui avait retrouvé
le corps et le médecin légiste. Les débats n'ont rien révélé de
nouveau sur les faits reprochés à la jeune fille. Son avocat, Me Dreyfus,
de Mulhouse, a souligné l'excellent renom de la famille W. ainsi que la
bonne réputation dont jouissait également Simone jusque là. Celle-ci a
exprimé ses plus vifs remords pour sa faute. Le procureur de la République
a demandé une peine assortie des circonstances atténuantes, tandis que
l'avocat de la défense a plaidé pour l'acquittement.
Après une courte délibération, la majorité du jury a voté oui à la
question de la culpabilité de Simone W. A ce moment, le procureur a
demandé lui-même au tribunal d'accorder le sursis, ce que l'avocat de la
défense a approuvé avec reconnaissance.
Finalement, le tribunal a rendu son verdict : Simone W. a été condamnée
à deux ans de prison avec sursis.
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La
découverte du corps du nouveau-né dans la presse locale :
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Dans
"Le Journal de Mulhouse" du 24 août 1921. |
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Dans
le "Republikaner" du 25 août 1921.
Traduction
: Oberbruck,
23 août. Horrible découverte. Le cadavre d'un enfant nouveau-né
enveloppé dans du papier d'emballage et dont la bouche était
bourrée de papier a été repêché samedi dernier dans la Doller.
[erreur
du journal quant au nom de la rivière]
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La sentence de la cour d'assises
illustre l'ambivalence de la justice de l'époque vis à vis des
infanticides. Selon le code pénal, les mères meurtrières encourent la
perpétuité, mais dans la pratique elles bénéficient le plus souvent
d'une grande indulgence. Les tribunaux prennent acte que la société
n'apporte aucun secours aux très jeunes filles acculées au désespoir
par une grossesse inattendue. Pour elles, aucun suivi médical, aucune
personne bienveillante avertie de leur état, aucune assistance lors de
l'accouchement, aucune perspective d'être soutenue pour élever l'enfant
non désiré. Au contraire, les malheureuses ont tout à craindre : la
vindicte familiale, la honte sociale d'être fille-mère, la perte de
l'emploi, l'anéantissement du rêve d'un mariage honorable.
En ce début du XXe siècle, l'éducation à la sexualité est taboue dans
les familles et les écoles, la contraception est inexistante et
l'avortement interdit. Aussi les infanticides découverts et jugés ne
sont pas rares. Le 20 octobre 1921, la veille même du procès de Simone W.,
la cour d'assises de Colmar avait à juger une autre jeune fille pour un
crime similaire. Ouvrière dans l'usine Aselmeyer, la jeune Mulhousienne de 19
ans avait quitté son atelier pour aller accoucher dans les cabinets de
l'entreprise. Pour éviter les cris du nouveau-né, elle l'a étranglé,
puis, enveloppé dans son jupon, elle l'a caché dans un recoin des
toilettes. Trois jours plus tard, elle a emballé le cadavre dans du
papier et l'a jeté dans le canal de décharge. Le corps n'a jamais été
retrouvé. Les jurés ayant répondu non à la question de savoir si la
jeune fille avait intentionnellement donné la mort, la prévenue a été
acquittée.
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Aucune information n'a pu être
trouvée sur la suite du destin de Simone W. Espérons rétroactivement
que le drame vécu à Oberbruck en août 1921 n'aura pas trop gravement
assombri sa vie !
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Henri
Ehret, octobre 2023.
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l'auteur.
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Sources :
- Journaux
locaux: "Le Journal de Mulhouse" et "Der Republikaner".
- Article du
Figaro : "Infanticide, le plus mystérieux des crimes" par
Marc Durin-Valois.
-
"L'infanticide devant les tribunaux français (1825-1910)" par
Richard Lalou.
- Wikipedia.
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