Les établissements Zeller à Étueffont.


Sauf indication particulière, les photos anciennes sont extraites de cartes postales de collection privée. Les photos récentes sont de l'auteur.


Après la guerre franco-allemande de 1870 et l'annexion de l'Alsace à l'Allemagne, les industriels alsaciens se voient coupés de leurs débouchés habituels. Leurs entreprises étant devenues des sociétés étrangères, leurs productions sont soumises à des droits de douane lors de leur entrée sur le territoire français. Pour contourner cet obstacle et préserver une partie de leurs anciens marchés, certains décident d'établir des succursales en France.

C'est ce que font les frères Zeller en 1879 en ouvrant un tissage à Étueffont-Bas. Les deux communes voisines d'Étueffont-Haut et d'Étueffont-Bas* présentent les mêmes caractères géographiques que les villages de la haute-vallée de la Doller : présence d'énergie hydraulique due au relief vosgien ainsi que d'une main d'œuvre disponible et peu exigeante. De plus, Étueffont est moins loin qu'Oberbruck des mines de charbon de Ronchamp qui fournissent le combustible pour les machines à vapeur. 

Selon un inventaire, l'établissement se présente ainsi en 1883 : un bâtiment de tissage avec dépendances, conduites, canaux, moteurs hydrauliques et à vapeur, gazomètre, complété par des bureaux, magasins, écuries, granges, des jardins, prés et champs sur 6 hectares, ainsi qu'une maison de maître avec un petit bâtiment pour portier.  

 * les deux communes ont fusionné en 1973.


Les usines d'Étueffont-Bas.

Dans un premier temps, le tissage d' Étueffont-Bas utilise les filés importés d'Oberbruck, puis en 1889, une filature est construite au sud du tissage. Ci-dessous, plusieurs vues des installations industrielles d'Étueffont-Bas, comprenant un tissage et une filature.

Vue depuis la route d'Étueffont-Bas vers Étueffont-Haut.

Vue depuis le versant montagneux à l'arrière ; au premier plan, une extrémité du canal usinier.

Au premier plan la route vers Étueffont-Haut. La présence des rails indique que la photo est postérieure à mai 1913.   Origine de la photo : Archives départementales du Territoire de Belfort. 

L'entrée des usines d'Étueffont-Bas :

 

 

De face, le bâtiment de la direction. La vue date d'avant 1915 : à cette date, une horloge a été installée sur la façade et un clocheton par-dessus le faîte.

 

 

 

Ouvriers et membres de leurs familles devant l'usine dans les années 1930. 

 

Origine de la photo : 

"Le pays sous-vosgien" de Stéphane Muret, Éditions Alan Sutton, 2011, page 61.

 

Les ateliers d'Étueffont-Bas aux sheds caractéristiques dans les années 1950. Au premier plan, l'ancienne maison de maître déjà transformée en centre de formation professionnelle des paralysés.


En 1890, la filature compte 9000 broches. En 1907, une machine à vapeur des Forges de Brousseval complète l'énergie de la turbine déjà mentionnée en 1880. L'essor des usines est accompagné par un nombre croissant d'emplois. Le tissage donne du travail à 140 personnes en 1881, 196 en 1889 et 247 en 1892, tandis que la filature emploie 59 personnes en 1892. Dans les premières décennies du XXe siècle, le personnel travaille 48 heures par semaine, pratiquant "la semaine anglaise", c'est-à-dire que le samedi après-midi est chômé. Un système de récupération permet aux ouvriers de s'absenter pour faire les foins ou les gros travaux des champs. Avant 1936, il n'y a pas de congés annuels.

Lors du recensement de 1906, sur les 1707 habitants des deux Étueffont, 379 sont employées par Zeller-Frères. La plupart sont ouvriers tisseurs ou filateurs, mais d'autres métiers sont cités tels que serruriers, manœuvres,  voituriers, cochers, chauffeurs, menuisiers, maçons, jardiniers, gardes de nuit, employés, comptables.    

Par ailleurs, 189 personnes domiciliées à Étueffont sont salariées du tissage Boigeol à Étueffont-Haut qui sera achetée par Zeller-Frères en 1909. 

 


Aménagements hydrauliques.

Barrages, canaux usiniers, retenues d'eau et conduites forcées permettent d'utiliser la force hydraulique du torrent La Madeleine.

 

 

 

La chute d'eau.

 

 

Origine de la photo : Archives départementales du Territoire de Belfort.

 

 

 

 

 

 

Le canal usinier vers 1925.

 

 

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Le chemin de fer.

A partir de 1913, l'industrie textile profite de l'ouverture d'une ligne de chemin de fer métrique à traction électrique qui relie Étueffont-Haut à Belfort.

 

 

La gare d'Étueffont-Haut.

 

 

Origine de la photo : Archives départementales du Territoire de Belfort.

 

 

Le chemin de fer départemental à Étueffont-Haut.

 

 


 L'usine d'Étueffont-Haut.

En 1909, la société Zeller-Frères acquiert l'ancien tissage mécanique Boigeol à Étueffont-Haut. Ci-dessus, vue sur le village d' Étueffont-Haut. L'usine est située au centre de la commune, route de Giromagny. 

Sous un autre angle et à une date plus récente, le même tissage d'Étueffont-Haut. On aperçoit la maison de maître avec son fronton triangulaire que Roger Zeller a fait édifier vers 1925 au lieu-dit "le Fayé" en transformant l'ancienne ferme visible sur la photo précédente.

 

 

 

 

 

L'entrée des ateliers.

 

 

 

 

Origine de la photo : Archives départementales du Territoire de Belfort.

Vue plus récente sur l'usine d'Étueffont-Haut et la résidence patronale à présent entourée d'un parc arboré. Origine de la photo : Mme M.J.Ruedy. 


 

Les industriels.

La  direction de la première implantation industrielle à Étueffont est assurée par un fils d'Édouard Zeller :  Albert Zeller, né à Oberbruck en 1854, qui a opté pour la nationalité française. Il demeure à Étueffont-Bas dont il est maire de 1881 à 1886. Plusieurs postes d'encadrement sont occupés par du personnel originaire de la vallée de la Doller. Ainsi  relève-t-on les noms de Jean Ehretsmann,  Amand Gebel et Paul Weiss de Sewen, comptable puis directeur du tissage pendant plusieurs décennies.

Vers 1890, un fils de Victor Zeller, René Zeller, né à Oberbruck en 1865, prend la relève de son cousin dans la direction de l'entreprise familiale. René Zeller réside à Étueffont-Bas qu'il marque de son empreinte jusqu'à sa mort en 1941. Il est maire de la commune de 1892 à 1924. [René Zeller enfant à Oberbruck : ici.] 

 

 

    René Zeller. 

 

 Origine de la photo : M. Patrick Bureau.

Son fils, Roger, né à Étueffont-Bas en 1895, lui succède dans la direction des usines jusqu'à leur vente. Vers 1925, Roger Zeller fait construire une demeure patronale, dominant le tissage, à Étueffont-Haut qu'il habite jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale. Élu maire d'Étueffont-Haut, il y fait réaliser l'adduction d'eau en 1935 et encourage le sport dans la commune. 

A Étueffont-Bas, les industriels habitent une maison de maître avec conciergerie construite au milieu d'un parc de près de quatre hectares. Ils y emploient une cuisinière, une femme de chambre, un portier, un jardinier, un chauffeur, une nourrice s'il y a un bébé, une institutrice particulière pour les enfants.  

 

 

 

 

 

Le château de René Zeller vers 1900. 

 

Origine de la photo : Archives départementales du Territoire de Belfort.

 

 

Photo de famille sur le perron du château en 1922.

René Zeller (1) et son épouse (2) entourés de leurs descendants, dont Roger Zeller (3)

Origine de la photo : M. Patrick Bureau.

A l'issue de la Première guerre mondiale, René Zeller fait élever cette statue de la Vierge sur la pente du Montanjus qui domine l'usine et sa résidence.  Sur la plaque de marbre on lit :

 

Reconnaissance à la Vierge Marie

Gardienne du foyer et de la cité,

 1914 - 1918,

 René Zeller et Cécile Galmiche ont érigé cette statue.

 

Dans son enfance à Oberbruck, René Zeller avait grandi sous l'égide d'une statue de la Vierge veillant sur le village et les usines familiales. Voir photos ici.


La fin du textile. 

A partir de 1930, les usines textiles Zeller d'Étueffont connaissent les mêmes difficultés que celles d'Oberbruck. En 1933, la famille Zeller perd le contrôle de l'entreprise au profit du groupe Boissière et fils. La filature ralentit progressivement sa production à partir de 1931, pour s'arrêter définitivement en 1935. Le tissage, malgré une modernisation en 1938-1939, connaît également le déclin après la guerre : le nombre de salariés n'est plus que de 150 en 1952.

Vers 1960, l'activité textile s'éteint à Étueffont.


 

Aujourd'hui.

Aujourd'hui, rares sont les vestiges de la période où le textile a régné sur Étueffont. Les hautes cheminées ont toutes été abattues et les salles des machines démolies. Les rails de la ligne de chemin de fer, fermée en 1948, ont été arrachés, la gare est devenue une maison d'habitation privée. La végétation a repris le dessus sur les équipements hydrauliques. 

 


Photos : la chute des cheminées des usines Zeller à Étueffont..


 

 

L'ancien tissage d'Étueffont-Haut a laissé la place à des immeubles d'habitation. Seuls des noms de voies (Rue de l'usine, Allée du canal usinier) rappellent encore l'ancienne activité.

Une partie des ateliers subsiste sur le site d'Étueffont-Bas, accueillant une petite zone d'activités. Au cœur de l'ancienne usine est installé à présent le siège de la Communauté de Communes du pays sous-vosgien.

L'ancien logement patronal est transformé en centre pour handicapés en 1949. Depuis 1954, il appartient à l'Association des Paralysés de France qui y a créé le Centre de formation professionnelle Thérèse Bonnaymé.  

 

 

 

Vue actuelle de l'ancien château Zeller que d'importantes transformations ont adapté à ses nouvelles fonctions.

 

 

 

Conclusion.

Grâce aux investissements des frères Zeller, le textile a constitué pendant trois quarts de siècle le gagne-pain principal des habitants d'Étueffont. Ensuite, les mutations économiques mondiales de la seconde partie du XXe siècle ont fait disparaître l'œuvre de ces industriels. Puisse cette page contribuer à préserver la mémoire de ces temps révolus.  

Henri Ehret, novembre 2011.

 

 Borne en grès avec l'initiale de Zeller sur le ban d'Étueffont. 

 


Sources :

Site des archives départementales du Territoire de Belfort :

Site "Notre patrimoine horloger"

Site "Les Petits Trains de Dany..."

Articles du bulletin de liaison des familles Zeller, Coze et Madelin aimablement fournis par M. Patrick Bureau.

Mes remerciements à M. Daniel Maillot pour les photos du train départemental et à Mme Marie-Jeanne Ruedy pour divers renseignements sur Étueffont. 

 


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