Histoire locale d'Oberbruck.

 

 

DEUX OBERBRUCKOIS EN INDOCHINE.

 

 

Adolphe et Louis Klingler, missionnaires au Vietnam.

 

Avertissement de l'auteur : les renseignements sur l'activité des deux missionnaires en Indochine proviennent presque exclusivement de sources chrétiennes ou favorables à la colonisation : société des missions étrangères, lettres de missionnaires, ouvrages français de l'époque, sites web chrétiens vietnamiens actuels. Le lecteur prendra donc en compte qu'il est en présence d'une vision unilatérale et non critique de l'Histoire.

Par ailleurs, on se rappellera que les valeurs en vigueur dans la mentalité européenne il y a un siècle ne sont pas celles d'aujourd'hui. Nos prédécesseurs du XIXe et du début du XXe siècle n'avaient pas notre approche des peuples étrangers, de leurs civilisations, de leurs croyances et de leurs aspirations nationales.    

Les passages en rouge foncé sont des notes ou explications de l'auteur. Les passages en vert sont des extraits transcris sans modification des sources consultées. 

 

Origines familiales.

Les frères Adolphe et Louis Klingler sont les deux fils des époux Bernard Klingler (1827-1878) et Joséphine Bindler (1830-1867).

Jean Adolphe Klingler est né à Oberbruck le 4 octobre 1853, son frère Louis Ignace le 1er octobre 1863. [dans la suite du texte, les deux frères seront désignés par leurs prénoms usuels : Adolphe et Louis] Adolphe et Louis ont deux sœurs, Amélie (1858-1877) et Mathilde (1861-1890). Leur frère Bernard, né en 1855, n'a vécu que 10 minutes et leur sœur Marie Sophie est morte en 1866, à l'âge de 6 jours. 

En 1867, six jours après avoir donné naissance à un enfant sans vie, leur mère, Joséphine Bindler, décède à l'âge de 37 ans. Leur père se remarie en 1869 avec Félicité Bohl, de Mortzwiller. De cette seconde union naissent Antoine, Bernard, Marie Sophie, François et Xavier Klingler, qui sont donc les demi-frères et la demi-sœur d'Adolphe et Louis.

En cette seconde partie du XIXe siècle, cette famille Klingler exploite à Oberbruck une menuiserie importante à l'échelle du village car elle emploie plusieurs personnes : Bernard (né en 1827), son frère Auguste (né en 1826), leur père Augustin (né en 1799) ainsi que deux ouvriers qui logent dans la maison de Bernard. La famille est liée à celle de Jean Bindler, un des boulangers d'Oberbruck. En effet, les deux frères Bernard et Auguste Klingler ont épousé les deux sœurs Joséphine et Salomé Bindler.

Ainsi, Adolphe et Louis grandissent dans un milieu social qui n'est pas dans le dénuement comme tant de leurs concitoyens. Sans rivaliser avec les familles des industriels, les Klingler et les Bindler se situent au-dessus des ouvriers du textile, des petits paysans et des journaliers. Cette petite aisance leur permet de financer la poursuite d'études des deux garçons.

Contexte politique et religieux.

Du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, l'Église catholique est conquérante. Un immense élan missionnaire vise à propager le christianisme en Asie, Afrique et Océanie. Les missionnaires travaillent à convertir les adeptes des autres religions, à fonder des églises et des écoles chrétiennes et à former un clergé indigène.

Par l'action des Jésuites, l'expansion du christianisme a commencé en Asie dès le XVIe siècle, mais c'est avec la colonisation européenne du XIXe siècle qu'elle atteint une dimension mondiale. L'hégémonie européenne entraîne la dernière vague de colonisation, essentiellement anglaise et française mais aussi néerlandaise, belge, allemande et italienne. Grâce à leur avance considérable dans le domaine des sciences et des techniques, ces puissances se partagent la plus grande partie de l'Afrique, de l'Asie et de l'Océanie. Pendant près d'un siècle, colonisateurs et missionnaires avancent de concert au point que conquête militaire, exploitation économique et conversion religieuse sont les facettes d'un même phénomène, la domination européenne.     

La France joue un rôle prédominant dans l'envoi de missionnaires dans le monde grâce à de multiples oeuvres et congrégations qui répondent à l'engouement populaire en faveur de la propagation du catholicisme. Parmi les ordres qui se consacrent entièrement ou en partie aux missions figurent les Maristes, les Dominicains, les Picpuciens, les Oblats de Marie-Immaculée, les Spiritains, les Sœurs Bleues de Castres, les Missions Africaines de Lyon, la Société des Missions Africaines, les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame des Apôtres, les Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique et bien d'autres.

Les Missions Étrangères de Paris.

Les frères Klingler, pour leur part, choisissent de servir les Missions Étrangères de Paris. Cette société a été fondée en 1663 ; elle siège à Paris, rue du Bac, où elle possède son propre séminaire. Son champ d'action se concentre sur l'Asie : le Cambodge, la Thaïlande, le Vietnam, plusieurs provinces de la Chine, l'Inde du Sud, la Corée, la Birmanie, la Malaisie, le Tibet. 

Séminaire des Missions étrangères de Paris.

Missionnaires sur le départ en 1856.

 Photos : site des "Missions Étrangères de Paris."

Les informations manquent sur les raisons pour lesquelles les frères Klinger ont rejoint les Missions étrangères de Paris alors qu'ils sont citoyens allemands au moment de leur entrée au séminaire. Une hypothèse est la rareté des ordres missionnaires catholiques allemands en comparaison des nombreuses congrégations françaises. Cela indiquerait chez les deux Oberbruckois non pas une simple vocation religieuse, mais le choix affirmé d'aller évangéliser les pays lointains. Leur choix atteste également leur proximité avec la France et une connaissance suffisante de la langue française.

L'engagement des deux Oberbruckois correspond à un afflux général de vocations tant en Alsace allemande qu'en France. Souvent issus de milieux ruraux modestes, chaque année des centaines de jeunes gens se portent volontaires pour des missions lointaines et périlleuses. Les dangers bien réels — de nombreux missionnaires ont payé leur apostolat de leur vie — n'écartent pas les postulants. Au contraire, chaque annonce du martyre de missionnaires ne fait que redoubler le nombre et la ferveur de ceux qui aspirent à les rejoindre.

Enthousiasme religieux de jeunes garçons élevés dans un milieu très croyant, désir d'honorer leur famille en entrant dans le clergé, peut-être également soif de voyages et d'aventures, telles sont les motivations que l'on peut prêter à Adolphe et Louis pour leur choix de vie.

Adolphe Klingler, "un bon soldat du christ."

Après l'école primaire d'Oberbruck, Adolphe Klingler entre au Petit séminaire de Zillisheim, puis poursuit des études de théologie à Strasbourg. En 1876, il entre au séminaire des Missions Étrangères en tant que minoré [clerc ayant reçu les 4 ordres mineurs]. Il est ordonné prêtre en septembre 1878 et dès le mois d'octobre il part pour Vinh, ville du nord de l'Annam (partie centrale du Vietnam actuel), à l'époque localisée dans le Tonkin méridional. La traversée en paquebot entre Marseille et l'Indochine dure plus d'un mois. 

Adolphe arrive en Asie dans la période mouvementée où la France parachève la conquête de la future Indochine française. Depuis 1862, elle a annexé la Cochinchine (Sud du Vietnam, autour de Saigon) et en 1863 elle a imposé son protectorat sur le Cambodge. Les années 1881 à 1887 voient de nouvelles avancées de la colonisation française qui ne vont pas sans guerres ni révoltes : guerre franco-chinoise pour le contrôle du nord du Vietnam, révolte du Tonkin contre la France, guet-apens de Hué, révolte des Pavillons Noirs. Pour les Indochinois résistant à la France, leurs compatriotes convertis au christianisme et les missionnaires sont les ennemis à combattre.

  L'Indochine française vers 1900. A droite, le secteur d'activité des frères Klingler. 

(le Vietnam actuel résulte de la réunion du Tonkin, de l'Annam et de la Cochinchine.)

Origine des cartes ci-dessus. A gauche : site de l'Académie de Reims, à droite : Google Maps.

Situation religieuse.

Les Annamites apparaissent aux yeux des chrétiens européens comme un peuple indifférent en matière de religion, mais en même temps superstitieux et attaché aux usages anciens. Plusieurs philosophies co-existent. Le bouddhisme introduit au Ier siècle après JC n'est plus aussi florissant que par le passé, les bonzes ont presque disparu et les pagodes menacent ruine. Le taoïsme est tombé dans un discrédit encore plus grand. Lao-Tseu, son fondateur,  est devenu pour les indigènes le patron des devins, des sorciers et des charlatans qui exploitent la crédulité populaire. Les Annamites sont davantage attachés aux principes de Confucius qui constituent la foi officielle du roi et du corps des lettrés. Plus qu'une religion, c'est un ensemble de préceptes dont le but est le respect et la conservation des usages anciens. De cette doctrine découle le culte des ancêtres, croyance et pratique chères au cœur de la population.   

Le catholicisme, introduit au Vietnam au début du XVIIe siècle, prend un nouvel essor avec la conquête française. Ces progrès de l'évangélisation suscitent de violentes oppositions car en  battant en brèche les croyances anciennes, le christianisme s'attaque au pouvoir des mandarins dont la puissance repose sur les lois du confucianisme.

 

La langue.

Les premiers mois du jeune missionnaire oberbruckois sont consacrés à l'apprentissage de l'annamite, la langue vietnamienne locale, dont la prononciation constitue un grand écueil pour les Européens. En effet, cette langue est composée d'un assez petit nombre de mots  monosyllabiques, et chaque syllabe a une signification variable suivant le ton dont on la prononce. La même syllabe peut avoir jusqu'à  huit significations différentes suivant qu'elle est prononcée sur un ton aigu ou grave, en accentuant ou en glissant, en haussant la voix ou en la laissant tomber. Selon C.E. Hocquard, l'initiation des missionnaires à la langue annamite suit la méthode suivante : dès son arrivée, le jeune prêtre français est installé au collège de la mission devant une grammaire annamite composée par les premiers missionnaires portugais venus au Tonkin au XVIe siècle. La prononciation et le ton de chaque syllabe y sont indiqués à l'aide d'un système de signes et d'accents de la même façon qu'une mélodie est notée sur un cahier de musique. Un catéchiste indigène sachant parler latin et pouvant par conséquent être compris du missionnaire est attaché à sa personne pour lui chanter l'intonation. Au bout de six à huit mois, le jeune missionnaire est déjà capable de prêcher. Après douze ou quinze mois, il peut commencer son premier voyage à travers le district.

 

Quand Adolphe est prêt, son évêque, Mgr Croc, l'envoie en mission dans la région du Hà Tinh, à une cinquantaine de km au sud de Vinh. Dans cette région où les persécutions et la pénurie de missionnaires avait réduit le nombre des chrétiens, Adolphe fait preuve d'une activité déterminée. Sa notice nécrologique relate : "Les païens disaient : "Jusqu'ici il n'y avait pas de missionnaire au Hà Tinh, maintenant il y en a dix." Il n'y en avait qu'un, mais il était partout, et partout se faisait respecter.

Une anecdote illustre que l'Alsacien ne manquait pas de poigne. Un jour, passant à pied devant le prétoire du mandarin* régional, un homme ivre l'insulte. Adolphe a en main son bâton de voyage : quelques coups de gourdin réduisent l'insulteur au silence. Mais celui-ci  n'est autre que le mandarin du lieu ! L'affaire produit de l'émoi, mais la réputation et l'autorité du missionnaire y gagnent. Peu après, un radeau de bois destiné à une église est arrêté par les sbires du mandarin. Immédiatement Adolphe se présente à la porte du mandarin pour protester. On avertit celui-ci. "Grand mandarin, le missionnaire est là qui demande à vous voir. — Quoi, ce diable d'Européen ? — Oui, grand mandarin. — Que veut-il ? — On a arrêté un radeau de bois destiné à une de ses églises. — Vite, qu'on envoie l'ordre de lui rendre son radeau, mais qu'on verrouille la porte." La peur du bâton, au Vietnam aussi, était le commencement de la sagesse !  

Adolphe Klingler reste quatre ans dans la région de Hà Tinh, redonnant confiance aux chrétiens et laissant à son départ neuf paroisses florissantes.

* Les Européens appellent "Mandarins" les fonctionnaires civils et militaires en Chine et en Indochine. Les mandarins appartiennent à la classe des lettrés et exercent le pouvoir à divers échelons.

 

 

Ci-contre, mandarin annamite en costume officiel.

 

 

 

 

Origine de la photo : site "Kiên Trúc Viêt-Vietnam Architecture."

Un missionnaire au travail.

Dans son ouvrage Une campagne au Tonkin, Charles-Édouard Hocquard (1853-1911), médecin militaire, photographe et topographe décrit l'apostolat du Père Girod, un missionnaire français. Son récit nous permet d'imaginer Adolphe et Louis Klingler à l'œuvre.  

"Une agglomération de chrétiens habitant des villages rapprochés groupés autour d'une église porte le nom de chrétienté ; vingt ou trente de ces chrétientés réunies constituent une paroisse administrée par un prêtre indigène qui demeure à poste fixe dans la chrétienté la plus importante où il remplit à peu près les fonctions d'un curé de campagne. La réunion de cinq à six de ces paroisses constitue un district, qui est placé sous la surveillance d'un missionnaire européen. Tous les chefs de district sont à leur tour sous les ordres de l'évêque, chef suprême de la mission, qui les utilise comme il l'entend, suivant leurs aptitudes et les besoins du moment.

Le missionnaire n'a pas, comme le prêtre indigène, de domicile fixe ; il parcourt constamment les paroisses placées sous sa juridiction, logeant chez les fidèles, s'arrêtant aussi longtemps que sa présence est nécessaire, et ne repartant que lorsqu'il a reconnu que tout est en ordre. Il fait ordinairement ses tournées à pied, accompagné de ses catéchistes qui l'aident pour les cérémonies du culte, et suivi d'un coolie qui porte les ornements et les vases consacrés dans deux grandes boîtes rondes laquées en noir et suspendues aux extrémités d'un bambou.

Le Père vit pauvrement, à la façon du pays, aux frais de la chrétienté qu'il visite. Comme il ne possède presque rien en propre, puisque toutes les aumônes venues d'Europe sont employées à l'entretien des collèges et des séminaires de la Mission, chaque famille de la paroisse le nourrit à tour de rôle ainsi que ses catéchistes. Bien que les chrétiens soient pauvres pour la plupart, chacun tient à honneur de le traiter de son mieux ; mais il doit se contenter de la cuisine annamite et manger avec les petites baguettes le riz, le poisson salé, les herbes au vinaigre, auxquels on ajoute, dans les grandes circonstances et pour lui faire fête, quelques morceaux de porc. Depuis qu'il a mis le pied sur la terre tonkinoise, il a abandonné l'usage du pain ; il ne boit à ses repas que de I'eau et une infusion de ce thé vert récolté dans le pays qui a une saveur astringente et un peu métallique. Tous les ans, il reçoit bien de Hong-Kong quelques bouteilles de vin qu'envoie le Père procureur, mais il les garde précieusement pour dire sa messe...

Dès que l'arrivée du missionnaire est signalée dans une chrétienté, tous les habitants se réunissent et viennent en corps à l'entrée du village pour le saluer. On l'accompagne ensuite jusqu'à la maison qui lui a été préparée pour le temps de son séjour...

Pendant toute la journée, le prêtre se tient dans sa maison, où il reçoit tous ceux qui ont quelque communication à lui faire, ou quelque conseil à lui demander. Il  juge tous les procès qu'on lui soumet, statue sur les mariages, réconcilie les ennemis, tranche les questions en litige : le Père est juge et arbitre en même temps que prêtre. "Il faut bien, dit le Père Girod, empêcher les chrétiens d'aller plaider devant le mandarin qui ne les aime guère et chez qui on ne peut jamais se présenter les mains vides."

Pendant que le missionnaire s'occupe de toutes ces affaires, les catéchistes courent de divers côtés pour instruire les néophytes, réchauffer le zèle des négligents et préparer ceux qui désirent se confesser au prêtre..."

La menace permanente des persécutions :

"L'autel est une simple table de bois qui n'est pas même fixée au sol. Nous ne pouvons pas avoir l'autel fixe, me dit le Père Girod, parce qu'au Tonkin on n'est jamais sûr du lendemain. Qui sait si, dans quelques jours les pirates ne viendront pas nous attaquer et nous piller ? Cette table est facile à enlever et à cacher à la moindre alerte. C'est pour la même raison que nous ne consacrons jamais nos églises, comme on le fait en pays civilisé. Il est même très rare qu'elles soient construites en briques. Dans la plupart des chrétientés, ce sont de grands hangars en bois recouverts de paille de riz ou de feuilles de palmier ; ils sont disposés de telle façon que toutes les pièces de la charpente peuvent s'enlever avec une extrême facilité. En temps de persécution, ou quand le pays est troublé par la guerre, les chrétiens les démontent et en cachent les matériaux ; les païens sont bien attrapés quand ils se présentent pour brûler ou pour profaner le temple : ils trouvent à la place qu'il occupait un champ labouré et tout ensemencé ; on appelle cela "plier l'église". L'opération est conduite avec une rapidité incroyable. Quand l'alerte est passée, on rebâtit en aussi peu de temps qu'on a mis à défaire."

Missionnaire en pirogue au Tonkin.

 

Le missionnaire porte "le salacot, grand casque de liège recouvert de toile blanche dont les larges bords préservent du soleil la nuque et les tempes et garantissent le cou contre les averses si communes dans ce pays." [ C.E.Hocquard]

 

 

 

Origine de la photo : Wikipedia, article "Missions catholiques au XIXe et au XXe siècles."

Épisodes guerriers.

En 1885, après le traité consacrant la défaite de la Chine qui reconnaît la domination française sur le Tonkin et l'Annam, puis l'échec de l'insurrection contre les troupes françaises à Hué, le soulèvement se retourne contre les missionnaires et les indigènes convertis. Il prend la forme d'une guérilla anti-coloniale appelée "l'insurrection des lettrés". Elle devient permanente dans les montagnes de l'Annam et les forêts du delta du fleuve rouge. Dix missionnaires et quarante mille chrétiens sur les cent quarante mille que compte le Tonkin sont massacrés. La rébellion rassemble les fidèles de l'empereur Ham Nghi traqué par les Français et les "Pavillons noirs", à l'origine des soldats irréguliers chinois qui, après la fin de la guerre franco-chinoise, se sont mués en bandits à la solde des mandarins hostiles au christianisme.

Les chrétiens ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se défendre. Commandés par leurs missionnaires, ils prennent les armes, sachant qu'il y va de la vie de leurs femmes et enfants. Adolphe Klingler doit préserver Xã Doài, un chef-lieu où 20 000 chrétiens rescapés des massacres se sont réfugiés. Avec 400 hommes armés de fusils et de lances, il arrête l'ennemi à 15 km de Xã Doài et y établit un point de résistance. Il entreprend ensuite de délivrer 1600 chrétiens réfugiés dans le village de Bao Nham et assiégés par 2000 pirates armés de fusils et de canons, alors que les défenseurs ne sont que 250 combattants, avec seulement 8 fusils. Quand ils sont à bout de munitions, les chrétiens se retirent de nuit dans les cavernes naturelles d'un grand rocher. Le lendemain, les pirates entourent le rocher de paille et y mettent le feu. Cinq jours durant, hommes, femmes et enfants des villages voisins rivalisent de rage pour apporter des matières inflammables et entretenir le feu.

Les flammes menacent les chrétiens, la fumée les suffoque, l'eau est épuisée. Leur fin semble proche. Adolphe Klingler, posté à six ou sept heures de marche de Bao Nham est informé : il accourt avec 300 hommes armés, bouscule les 500 pirates qui veulent lui barrer l'accès à Bao Nham et arrive devant le camp ennemi qu'il observe depuis un retranchement de terre. Adolphe raconte :

"Avec trois élèves du collège, j'ai escaladé le talus et nous leur envoyons une première décharge qui semble peu les inquiéter. Grâce à nos fusils à tir rapide, une deuxième suit immédiatement la première, puis une troisième. « Voyez ! ils ne rechargent pas ! ils ne rechargent pas et cependant ils tirent toujours », crient les rebelles. La panique les prend. L'un de leurs chefs s'enfuit, ses soldats l'imitent."

Pendant que ses hommes poursuivent les fuyards, Adolphe va droit au rocher ; il veut y monter, impossible, les pierres sont brûlantes. A ce moment une forte averse survient qui refroidit le rocher et bientôt les survivants sont autour de leur libérateur. "Alors, raconte le missionnaire, il y eut une scène d'une émotion indicible : tous pleuraient et riaient à la fois : tant étaient grandes la détresse du moment et la joie de la délivrance."

Les chrétiens ne doutent pas que leur salut soit d'origine divine : dans la fournaise, quand ils ont cru leur dernière heure arrivée, ils se sont confiés à la Vierge Marie. Adolphe, de son côté, avant de livrer bataille pour libérer le rocher, a organisé une heure de prière à la Vierge au cours de laquelle il a fait le vœu solennel : si Marie, mère de Dieu lui permettait de sauver les chrétiens, il lui bâtirait à Bao Nham une église en pierre sur le modèle de Lourdes. Le succès des armes, la délivrance des assiégés, la pluie providentielle, tous y voient le signe que la Sainte Mère n'a pas abandonné ses enfants.  

Les pirates ne renoncent pas : Adolphe et ses chrétiens doivent défendre leur fortin presque chaque jour contre leurs attaques où ils utilisent toutes sortes de stratagèmes comme des flèches incendiaires ou des cerfs-volants portant des brûlots. En mars 1886, les avants-postes signalent l'avancée en ordre de bataille de 300 à 400 pirates chinois, annamites et laotiens. Ils portent avec eux de grands rouleaux de paille et d'herbe pressées. A 500 mètres du fortin, ils les posent à terre et les roulent vers les palissades ; tapis derrière, les bandits avancent tout en tirant. S'ils mettent le feu aux rouleaux, le camp chrétien va flamber. Mais soudain, sur les arrières de l'ennemi, éclate une fusillade. C'est Adolphe Klingler, qui, avec quelques braves, a réussi à les tourner. En même temps, les assiégés, d'un élan irrésistible, se jettent sur les assaillants. C'est la débandade : les pirates courent en tout sens, se heurtent, se bousculent, se frappent, s'insultent. Leur défaite est sans appel.

Les années suivantes continuent d'être difficiles pour les missionnaires et les chrétiens. Si la guerre ouverte est terminée, l'hostilité des mandarins et d'une large partie de la population envers les chrétiens ne faiblit pas. Elle prend la forme de calomnies, de dénonciations abusives de chrétiens, de procès truqués, de chicaneries administratives, mais aussi d'agressions, d'assassinats de convertis ou d'embuscades contre des missionnaires isolés.

 

 

 

 

 

Missionnaire avec ses hommes armés au Tonkin.

 

 

 

Origine de la photo : carte postale.

 

Louis rejoint son frère.

Louis Klingler, le frère d'Adolphe de 10 ans son cadet, a quinze ans lorsque leur père décède. On peut imaginer que c'est Adolphe qui lui a servi de modèle paternel et qu'il a suivi tout naturellement sa trace. Après des études primaires et secondaires en Alsace, il entre au séminaire des Missions Étrangères de Paris en 1883. Ses études théologiques terminées, il est ordonné prêtre en 1887 et désigné pour la mission de Vinh où il arrive au début de 1888. Il y retrouve son frère qui est alors dans l'éclat de sa renommée après ses succès guerriers à Bao Nham.  

Comme son aîné avant lui, Louis commence par apprendre la langue annamite pendant six mois à l'issue desquels il devient professeur au Petit séminaire de Vinh. Deux ans et demi après, il est nommé pour trois ans adjoint de son frère pour l'administration du district de Bao Nham. Désormais les deux Oberbruckois vont être en contact pour le reste de leur vie, soit qu'ils collaborent directement dans le même poste, soit que Louis, lorsqu'il assure des fonctions d'enseignant, rejoigne son frère pendant ses deux mois de vacances annuelles. 

Le compte-rendu des travaux de 1929 de la Société des Missions Étrangères de Paris fait ce portrait comparé des deux frères : 

"Les deux frères s'aimaient tendrement, ils furent ravis de se retrouver et de travailler côte à côte dans le même pays. C'étaient deux riches natures, on pourrait dire deux natures d'élite, avec des différences bien marquées, même au physique. Adolphe était de taille plus petite, de complexion plus alerte et plus nerveuse, d'un tempérament plus ardent et plus vif, communicatif, enthousiaste ; Louis, grand et bel homme, à la démarche plutôt lente, était aussi plus calme, plus réservé, plus fin, plus cultivé. On a dit plus d'une fois que l'aîné avait fait tort au cadet, en l'éclipsant quelque peu, en gênant l'expansion de ses qualités propres ; il y a de l'exagération dans ce jugement ; ce qui est certain, c'est que Louis avait une sorte de culte pour son grand frère, aimait à s'effacer devant lui, le laissait volontiers parler et décider, se rangeant toujours à son avis."

Les deux Oberbruckois s'attachent définitivement à leur patrie d'adoption et à ses habitants. Ceux-ci leur donnent des noms en langue annamite : Adolphe devient Cô Thông et Louis devient Cô Thai. [le mot "Cô" signifie "trisaïeul", ce qui exprime un profond respect car pour les Annamites, plus une personne est âgée, plus elle est honorée.] 

 

 

 

Adolphe Klingler vers 1890/95.

 

 

 

Photo ayant appartenu à Oberbruck à Marie Sophie Klingler épouse Behra, demi-sœur d'Adolphe, mise à disposition par M. Bernard Behra.

 

Périls et succès.

Dans les années 1888-1895, Adolphe, souvent assisté de Louis, met toute son énergie pour redresser la situation de la mission dans la région de Bao Nham. Il profite d'un vaste mouvement de conversions qui suit les évènements dramatiques de la guerre. Bientôt les catéchistes ne suffisent plus, il faut mobiliser tout un cours du collège de la maison pour instruire les catéchumènes. Quatre nouvelles paroisses sont créées.

Mais les succès de l'évangélisation exacerbent l'hostilité des adversaires. Des lettres de Louis donnent une idée du climat de violence dans lequel travaillent les missionnaires.

Extraits :  

Mars 1889 : 

La paix est encore mal assurée malgré la prise du roi rebelle Ham-Nghi. Tout dernièrement, un de nos meilleurs missionnaires, le P. Pédémon est encore tombé victime de ces brigands. Il remontait le grand fleuve en compagnie d'un capitaine français à la recherche de chrétiens faits prisonniers pendant la guerre. Une balle l'atteignit dans la barque et lui traversa la tempe. La mort fut instantanée. Non loin de la paroisse de mon frère, ces rebelles organisés en plusieurs bandes, perçoivent l'impôt, pillent les villages, massacrent ceux qui leur font opposition.

Août 1889 :

A la tombée de la nuit un individu du village arrête un de nos chrétiens pour une bagatelle, on veut les séparer et alors un autre garnement s'en mêle, nos chrétiens arrêtent ce dernier, il se débat de toutes ses forces, hurle et appelle le village à son secours, il se mord la langue pour faire couler le sang et continue à crier pendant trois heures. Tout le village accourt ; nous avons juste le temps de fermer la porte du jardin où nous nous trouvions, et les domestiques menacent de couper la tête au premier qui entrerait. Mais nous étions cernés; hommes, femmes, enfants étaient serrés tout autour de nous, au nombre de près de 500.
L'individu arrêté cesse de crier et fait le mort, aussitôt la colère des païens augmente ; sa femme et ses enfants viennent hurler à la porte, profèrent les insultes les plus abominables et excitent le village à la vengeance. Nos quelques armes les tiennent cependant en respect.
Une de nos plus grandes préoccupations était la crainte de voir arriver les rebelles qui pendant la nuit nous auraient pu jouer un mauvais tour. Ils ne vinrent pas heureusement en assez grand nombre pour oser nous attaquer. On passa une nuit blanche. Le lendemain, à cinq heures du soir seulement, nous pûmes sortir de cet endroit.  

Juin 1892 :

Dans le Sud de notre mission, au Hà-Tinh, le pays est complètement troublé. Là, les rebelles fabriquent eux-mêmes des fusils à tir rapide ainsi que des cartouches. Leurs fusils, il est vrai, ne sont pas aussi bons que les fusils français parce qu'ils ne sont pas rayés ; mais il y a un progrès énorme et la lutte devient plus égale. Lorsque les Annamites n'avaient que des lances et de mauvais fusils à pierre à opposer aux fusils Gras, les Français avaient beau jeu, mais désormais la victoire ne sera plus aussi facile.

Les autorités, tant françaises qu'indigènes, s'inquiètent qu'un trop grand nombre de conversions puisse menacer l'ordre établi. Louis écrit : "la tempête se déchaîna. Notables de villages, maires, sous-chef de canton, chefs de canton, préfets, sous-préfets, tout le monde s'en mêla." Comment freiner les conversions sinon en éloignant leur auteur ? Peut-être pour flatter la caste des mandarins confucéens, le résident* demande à l'évêque l'expulsion d'Adolphe des deux provinces du Nghê An et du Hà Tinh.

[* résident : nom donné au représentant de l'autorité française détaché auprès des pouvoirs indigènes locaux.]

Adolphe Klingler prend alors son bâton de voyage et part pour Hué trouver le Résident supérieur, mais sans résultat. Sans se décourager il se rend ensuite à Hanoi pour y rencontrer le Gouverneur général, M. de Lanessan. Bien que radical, libre-penseur et franc-maçon, celui-ci voit l'intérêt de garder un homme de la trempe de Klingler dans une région toujours troublée. Aussi lève-t-il l'arrêt d'expulsion. 

Le retour d'Adolphe dans la province en octobre 1891 est triomphal : ses chrétiens se portent en foule au-devant de lui. Les drapeaux autrefois pris à l'ennemi flottent au vent, les tambours battent, les grosses caisses tonnent, on tire même avec une autre prise de guerre, un vieux canon rouillé !*

[*informé du tir du canon, le gouverneur envoie un télégramme de réprimande au missionnaire qui ne se trouble pas : "Bah ! dit-il, pour un coup de canon, ça n'en valait vraiment pas la peine, et puis, s'ils ne sont pas contents, ils n'ont qu'à courir après."]

Bâtisseur.

Adolphe Klingler n'a pas oublié le vœu prononcé en 1885 de construire une église à la Sainte-Vierge à Bao Nham. Il lance les travaux en 1888. Le missionnaire se mue en architecte, en terrassier, en carrier, en maçon et en charpentier. Le principal matériau utilisé est la pierre de Thanh extraite de la montagne Lam Son.

Les chrétiens soutiennent l'entreprise : certains fournissent des matériaux, de plus modestes offrent des journées de travail. Un notable promet de donner tous les jours la nourriture aux ouvriers jusqu'à la fin de l'entreprise qu'il imaginait certainement de plus courte durée ! Il tient néanmoins parole et donne le riz quotidien à une vingtaine d'ouvriers tout le temps que dure la construction de l'édifice.    

L'église est achevée en 1904, après un chantier de 16 ans. [Cependant, d'après les archives des Missions Étrangères de Paris, elle aurait déjà été bénie par l'évêque, Mgr Pineau, le 6 juin 1901.]

Longue de 35,60 mètres, large de 15,70 mètres, haute de 10,50 mètres sous clef de voûte, c'est une "une vraie église de France", toute de pierre de taille, avec deux rangées de fenêtres ogivales ornées de vitraux, un clocher gothique de 36,60 mètres de haut portant la croix et le coq traditionnel. Dans le clocher, un carillon de trois cloches de bronze pesant 800 kg, 400 kg et 180 kg venues de France : elles ont été offertes par la sœur d'Adolphe. [sa demi-sœur Marie Sophie Klingler, épouse Behra (1874-1968)]  

Comme l'œuvre d'Adolphe Klingler est aujourd'hui encore la seule église en pierre de la province, les Vietnamiens l'appellent "Nhà tho da" [mot à mot : église de pierre]  

[Nota : les données ci-dessus concernant les dates de construction et les caractéristiques de l'église proviennent du Département du tourisme de Nghe An ainsi que des informations communiquées par M. Trinh Xuan Giao.]

L'église de Bao-Nham construite par Adolphe Klingler.

 

   Le clocher.

 

 

 La nef et sa voûte en croisée d'ogives. 

 

 Vitraux. 

Origine des photos : site "luonlo.net"  

 

 

 

 

 

Adolphe Klingler vers 1910.

 

 

 

 

Origine de la photo : site "GIỚI TRẺ BẢO NHAM "

Louis, Supérieur du Petit séminaire.

Après avoir été adjoint au Père Guignard dans la partie laotienne de la Mission de 1893 à 1897, Louis Klingler est nommé Supérieur du Petit séminaire de Xã Doài (30 km au nord de Vinh). Il dirige cet établissement pendant quinze ans, jusqu'en 1912.

Ce poste exige de multiples compétences : Louis est à la fois Supérieur, économe, préfet de discipline, professeur, directeur de conscience. Ceux qui le côtoient lui reconnaissent une intelligence vive et claire, un jugement sûr et une grande possession de soi-même. On lui reproche parfois un tempérament conservateur, attaché à des choses vieillies et circonspect devant des réformes qu'il sent pourtant nécessaires. 

Pour les élèves, Louis est un Supérieur aimé et un professeur apprécié. Il ne gronde pas souvent, punit encore moins, mais quand il lui arrive de se fâcher et de se départir de son calme habituel, ses ouailles se disent que c'est certainement avec raison et rentrent dans l'ordre. Pendant son long supériorat, bien que les Annamites du Vicariat de Vinh aient la réputation d'avoir l'humeur difficile, Louis n'a pas de gros ennuis avec ses élèves. Les connaissant bien, il ne s'étonne pas que ses élèves ne soient pas tous des saints. Il les prend tels qu'ils sont afin de les rendre petit à petit tels qu'il veut qu'ils soient. 

Ceux qui l'ont comme maître se souviennent de la clarté de son enseignement et de la solidité de ses instructions et de ses sermons. Ses auditeurs savourent la façon lente mais distinguée avec laquelle il parle l'annamite et les grains d'humour dont il assaisonne ses paroles.

 

Adolphe, la fin de la route.

Après l'achèvement se son église, Adolphe connaît des problèmes de santé croissants : la vue et l'ouïe sont très affaiblies, des plaies aux jambes lui rendent la marche pénible et parfois la maladie le terrasse. Préférant poursuivre sa mission, il renonce à un repos en France ou bien à un séjour dans le sanatorium que l'ordre possède à Hong-Kong  : ses comptes-rendus annuels, à cette époque, portent une moyenne de 150 à 200 baptêmes d'adultes et de 600 à 800 baptêmes d'enfants de païens.

Mais il doit se rendre à l'évidence, il ne peut plus assumer sa charge seul. Aussi, en 1912, obtient-il que son frère Louis vienne le seconder à Bao Nham. Il accepte enfin de partir à Hong-Kong ; il en revient en juillet 1915, mais il est trop tard. Bien que son esprit garde toute sa vigueur et son cœur toute l'ardeur de la jeunesse, son corps est à bout. 

Le 26 janvier 1916, le missionnaire vaque comme d'ordinaire à ses occupations. A midi, il est pris de vomissements de sang. Calme, comme si de rien n'était, il dit à son frère : "Cet accident ne m'est jamais arrivé ; cette fois c'est la fin." Il demande qu'on lui laisse quelques instants pour se recueillir, puis se confesse à son frère, reçoit de lui les derniers sacrements, et regarde venir la mort en face, comme une vieille connaissance qu'il a vue si souvent de près. A onze heures et demi du soir, Adolphe Klingler décède à l'âge de 63 ans, après 37 ans passés en Indochine.

Ses obsèques ont lieu le surlendemain, présidées par Mgr Eloy, assisté de nombreux missionnaires et prêtres indigènes. Il est inhumé à Bao Nham dans la belle église qu'il a dédiée à Notre-Dame Immaculée.

La pierre tombale d'Adolphe Klingler dans l'église de Bao-Nham. Traduction de l'agrandissement de droite : "Ci-gît Adolphe Klingler, missionnaire apostolique." 

Origine de la photo : site "Amazing Vietnam"

 

Dernières années de Louis à Bao-Nham.

Louis Klingler quitte le supériorat du Petit séminaire en 1912 et s'établit pour quinze ans à Bao Nham dont il dirige le district après la mort d'Adolphe. Il poursuit son entreprise de conversions : les registres indiquent qu'en quinze ans il a enregistré 1678 baptêmes d'adultes. Par sa bonté, son entente des affaires, les services qu'il était toujours prêt à rendre aux chrétiens comme aux païens qui avaient recours à ses bons offices, il sait attirer à la religion chrétienne des groupes nombreux de 10, 20, 40, 60 personnes et parfois davantage. Louis donne l'exemple de la pauvreté évangélique, se contentant de presque rien pour ses besoins personnels. Tout son avoir, toutes les ressources de son district passent en restauration ou en construction d'églises, en achat de terrains pour ses paroisses, en secours aux malheureux qui abusent parfois de son cœur charitable.

Louis jouit d'une santé solide malgré les fièvres contractées autrefois dans la région laotienne. Mais en avril 1928, lors d'un déplacement à Vinh, suite à un refroidissement dans un couloir trop ventilé, il est hospitalisé pour une congestion pulmonaire. Bien traitée dès le début, la maladie est presque surmontée quand survient une crise d'urémie qui emporte le malade en vingt-quatre heures. Après avoir reçu les derniers sacrements de M. Delalex, curé de la paroisse de Vinh, Louis Klingler décède le 7 mai 1928 à six heures et demi du soir. Il est âgé de 65 ans dont 40 ans passés en Indochine.

Sa dépouille mortelle est ramenée à Xã Doài où le service funèbre est célébré dans la cathédrale par le vicaire apostolique entouré de onze missionnaires, douze prêtres indigènes et les élèves de deux séminaires. Puis, Louis est inhumé auprès de son frère à Bao Nham, dans l'église de pierres.

 

 

Conclusion.

Adolphe et Louis Klingler se sont donnés corps et âme à l'idéal qu'ils se sont choisi : apporter le christianisme aux habitants du Vietnam. Leur existence est en symbiose avec leur époque, lorsque les Européens n'avaient aucun doute de la supériorité de leur civilisation et de leur légitimité à l'imposer aux peuples colonisés. Risquant vie et santé au service d'un apostolat soutenu par une foi inébranlable, ils ont certainement éprouvé le sentiment d'avoir accompli un destin exaltant. 

Aujourd'hui, peu d'habitants d'Oberbruck gardent la mémoire des deux missionnaires. En revanche, au Vietnam où 7% de la population est catholique (soit 6,5 millions de personnes), le souvenir de Cô Thông (Adolphe) et de Cô Thai (Louis) n'a pas disparu comme en témoigne cet extrait de site web :

Extrait du site : Giáo phận Vinh

Traduction de la phrase soulignée : "L'église a été construite selon le modèle de l'église de Lourdes en France, elle a été construite par deux frères missionnaires français, le père Adolphe Klingler (Cô Thông) et le père Louis Klingler (Cô Thai).

 

Épilogue.

Après le décès d'Adolphe, un colis venant d'Indochine est arrivé à Oberbruck, à l'adresse de sa demi-sœur, Marie Sophie Behra, née Klingler. Il contenait quelques objets personnels, parmi lesquels cette croix du missionnaire.

 

Annexes : 

Annexe 1 : Bao Nham aujourd'hui, vidéo et photos. 

Annexe 2 : Le Vietnam et ses habitants vus par le Docteur Hocquard.

Sources autres que celles déjà citées dans la page :

- le site des Missions Étrangères de Paris pour la biographie des missionnaires.

- le site Gallica pour les lettres et rapports de différents missionnaires en Indochine. 

- le site Geneanet de M. Bernard Gebel pour les renseignements généalogiques.

- le site des archives du Haut-Rhin pour les actes d'état-civil d'Oberbruck.

- Wikipedia et Google Maps pour les renseignements historiques et géographiques.

- Une campagne au Tonkin par le Docteur Hocquard, médecin-major, Éditions Hachette, Paris 1892.

- Remerciements à M. Bernard Behra d'Oberbruck, petit-neveu des missionnaires, pour le partage de ses souvenirs et la mise à disposition des photos et documents.

- Remerciements à M. Trinh Xuan Giao pour les contacts fructueux et les documents sur Bao Nham. 

 

Henri Ehret, octobre 2017.

Mise à jour, mai 2018.

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