|
|||||
Extraits de la "Description des gîtes de minerai et des bouches à feu de la France." Tome 2 par M. le baron De Dietrich. Éditeur Didot, fils aîné (Paris)-1786-1800. Source : gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de France.
|
|||||
L'auteur :
Le baron Philippe-Frédéric de Dietrich (1748-1793), est un savant et un homme politique alsacien. Maître des forges de Dietrich à Niederbronn, il est aussi un homme de culture du siècle des Lumières, formé par des voyages d'études à travers l'Europe. Ami des encyclopédistes, membre de l'Académie des Sciences, il écrit de nombreux articles scientifiques. En 1785, il est nommé " commissaire du roi à la visite des usines, des bouches à feu et des forêts du royaume." Il rend compte de cette fonction dans trois volumes intitulés : "Description des gîtes de minerai et des bouches à feu de la France." Dans le volume 2, consacré à l'Alsace, les pages 90 à 103 traitent de la vallée de Masevaux . Lors de la Révolution, Philippe-Frédéric de Dietrich est maire de Strasbourg de 1790 à 1792. C'est dans son salon que Rouget de Lisle, dans la nuit du 24 au 25 avril 1792, crée le Chant de l'Armée du Rhin qui devint la Marseillaise. Ayant protesté contre l'insurrection du 10 août 1792, de Dietrich s'attire l'hostilité des Jacobins. D'abord réfugié en Suisse, il se constitue prisonnier. Bien qu'acquitté par le tribunal de Besançon le 7 mai 1793, il est envoyé à Paris. Sous la pression de Robespierre qui voit en lui "un des plus grands conspirateurs de la République", le Tribunal Révolutionnaire le condamne à mort. Il est guillotiné le 29 décembre 1793. Sources : - site "Les Annales des Mines." - Wikipedia. |
|||||
Présentation et sources. Le texte du rapport du baron de Dietrich est reproduit sur fond jaune, le texte principal en bleu, les notes en rouge foncé. Pour faciliter la lecture, quelques formes archaïques de l'orthographe du XVIIIe siècle ont été remplacées par l'orthographe actuelle. Sur fond gris, quelques explications lexicales et techniques des mots en vert dans le texte, ainsi que des illustrations. Celles-ci ne proviennent pas de l'ouvrage du baron de Reinach ; ce sont des planches de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert publiée de 1751 à 1772. Sources : Wikisource. Le haut-fourneau de Masevaux : "Patrimoine Doller", Bulletin de la Société d'Histoire de Masevaux, 1992. |
|||||
Introduction : Du haut des crêtes des Vosges, le baron de Dietrich découvre les activités de la vallée.
|
|||||
Aux pieds du spectateur, les trois règnes et les arts s'accordent pour animer l'espace qu'il contemple, et si les montagnes dérobent quelques objets à sa vue, les bruits lointains et variés lui en décèlent l'existence. Au chant du coq, à la voix des chiens, aux mugissements des troupeaux et aux sons harmonieux des instruments champêtres qui les rassemblent, il reconnaît des fermes et des hameaux. L'intensité et la fréquence plus ou moins grande des coups frappés par les marteaux des grosses et des petites forges, lui indiquent la direction et l'éloignement, d'où ils partent et le genre de travail dont on s'y occupe. Il distingue le moment où ces pesants marteaux pétrissent des loupes, pièces ou globes enflammés de fer encore impur, d'où ruisselle de toute part le laitier embrasé. Il reconnaît l'instant où le forgeron coupe la pièce en lopins, où il étire des barres, où il consolide des soudures ; enfin celui où le martineur façonne les fers en carrillons, en verges rondes ou crénelées.
|
loupe (ou renard) : masse de fer obtenue lors de l'affinage. laitier : scories qui se forment lors de la fusion du minerai. lopin : morceau de fer prêt à être forgé. martineur
: ouvrier
qui présente les barres de fer à l'action du martinet. ( = platineur) carrillon : barre de fer carrée.
|
||||
Description des gîtes de minerai et des bouches à feu de la France.
|
bouches à feu : four à combustion interne qui sert à transformer le minerai en fer (haut-fourneau). | ||||
Dès l'année 1578, il y avait dans la vallée de Masevaux des usines, pour l'usage desquelles le Souverain accorda, par lettres patentes de la même année, le droit de la traite des mines. Ces usines tombèrent en ruine pendant les guerres des Suédois. Monsieur le comte de Rothenbourg, ayant acquis la ville et seigneurie de Masevaux, se proposa de rétablir ces usines, et obtint à cet effet au mois de juin 1686 des lettres patentes, portant permission au dit seigneur, d'établir une forge à fer et un fourneau dans la seigneurie de Masmünster ou Masevaux, et d'y faire chercher et creuser la mine, même à trois lieues aux environs en dédommageant les particuliers, etc. (1). (1) Voici le dispositif de ces lettres: "Nous avons audit sieur de Rothenbourg permis et accordé, permettons et accordons, par ces présentes signées de notre main de faire construire dans ladite terre et seigneurie de Masmünster une forge à fer et un fourneau, et d'y faire chercher et creuser de la mine de fer dans tous les endroits d'icelle où il y en pourra avoir, même à trois lieues aux environs de ladite terre, en dédommageant toutefois les particuliers, à qui appartiendront les héritages, dans lesquels il s'en trouvera, pour desdits forge et fourneau jouir et user par ledit suppliant, ses héritiers, successeurs et ayant cause, seigneurs de ladite seigneurie de Masmünster, pleinement, paisiblement et perpétuellement, sans qu'ils y puissent être troublés ni inquiétés pour quelque cause, et sous quelque prétexte que ce soit à condition que ladite forge ne causera aucun dommage ni préjudice au public, ni aux particuliers, et que, sous prétexte d'icelle, il ne sera dégradé aucun bois; à la charge aussi par ledit sieur de Rothenbourg par sesdits héritiers, successeurs et ayant cause, seigneurs de ladite terre et seigneurie de Masmünster de payer annuellement à notre domaine pour raison de la présente permission, une redevance de deux écus d'or…"
|
lettre
patente : un
texte par comte de Rothenbourg : Frédéric-Nicolas de Rothenbourg, originaire de Livonie, maréchal de camp de Louis XIV. Il épousa Anne-Jeanne de Rosen. lieue : unité de longueur, environ 3,9 Km.
|
||||
|
Le fourneau construit en conséquence de ces lettres est situé dans la paroisse de Masevaux, à neuf mille toises N. E. de Belfort, et deux mille cent toises même direction de Rougemont. Il ne manque jamais d'eau ; on y a construit une halle à charbons, suffisant à l'approvisionnement d'une année entière, des logements pour un commis et six à sept ouvriers, un bocard pour la castine, et un lavoir à roue pour nettoyer la mine. Le fourneau de Masevaux ainsi que tous les établissements qui en dépendent, appartient à madame la marquise de Rosen qui l'a affermé à M. Laurent, à raison de 18000 livres sans bois, pour neuf années à compter de 1782. Le fourneau de Masevaux ne trouve d'aliment en charbon, que pour six mois de l'année, de manière que l'on peut calculer son produit à six cents milliers de fonte environ, quoique ses ateliers soient disposés pour en fabriquer un million.
|
est situé : au lieu-dit "Schmelze", à la sortie de Masevaux vers Lauw, à l'emplacement de l'usine CSA. toise : unité de mesure valant 6 pieds, soit un peu moins de 2 mètres. bocard
: moulin
servant à broyer le minerai ou la castine. castine
: pierre
calcaire qu'on mélange au minerai de fer pour en faciliter la fusion. mine : ici, le sens de minerai. la marquise de Rosen : Sophie de Rosen, descendante du maréchal Conrad de Rosen et du comte de Rothenbourg. Elle épousa le prince Victor de Broglie, puis après l'exécution de celui-ci sous la Terreur, le comte René Voyer d'Argenson. millier : unité de poids, 1 millier = 1000 livres soit environ 490 Kg.
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Chargement d'un haut-fourneau au XVIIIe siècle. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Enlèvement de la gueuse, longue barre de fonte moulée dans le sable à même le sol du bâtiment du haut fourneau, et préparation du moule pour la prochaine coulée. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Il
s'y coule dans
l'espace de
vingt-quatre heures,
deux gueuses,
pesant chacune
dix-huit à
vingt quintaux.
On consomme
par gueuse
treize à
quatorze cuveaux
de mine.
La consommation
pour l'année
peut aller
à quatre
mille cuveaux
de mine,
sept cent
cinquante bannes
de charbon,
qui usent
à peu près trois
mille
cordes de bois,
et au-delà
de six
cents cuveaux
de castine. Le fourneau de Masevaux tire environ cent-trente cuveaux de mine en grains de Rope, d'Egueningue et Bezoncourt. Il s'approvisionne aussi dans la forêt de Steinbie, paroisse de Thann, au minier de Steinbach, à la minière de Houppach, au minier du Buchburg, dans la forêt de l'Abbaye, en allant à Burbach-le-bas, enfin au Kohlerberg, paroisse de Burbach-le-bas. Tous ces endroits sont situés à une lieue environ à la ronde de Masevaux. Le cuveau de ces différentes mines revient à cinquante sols rendu au fourneau ; nous en parlerons en détail en leur lieu. Le fourneau n'a point de bois qui lui soient affectés. Indépendamment
des mineurs,
il y
a au
fourneau un
fondeur, un
sous-fondeur, un
releveur de charbons,
un releveur
de mine,
deux chargeurs,
trois manœuvres
occupés à
monter la
mine au
gueulard,
en tout
neuf ouvriers.
|
gueuse
:
lingot
de fonte brute de première fusion cuveau : mesure de volume pour le minerai, environ 200 litres. banne : tombereau servant au transport du charbon. corde: unité de volume pour le bois, équivalant à 4 stères ; la corde montagnarde équivaut à 6 stères. Rope, Egueningue, Bezoncourt : Roppe, Eguenigue, Bessoncourt, communes de l'actuel Territoire de Belfort. Livre, sol, denier : monnaies : 1 livre = 20 sous ou 20 sols = 240 deniers. pied : unité de longueur ; 1 pied = 12 pouces = 0,325 m. gueulard
: ouverture
au sommet du haut fourneau par laquelle on chargeait le minerai et le
charbon de bois taillanderie : fabrique d'outils pour tailler et couper. renardière : fourneau d'affinage. M. d'Anthez : suivre ce lien. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Travail dans une affinerie : la fonte est oxygénée et transformée en fer par la combustion partielle du carbone qu'elle contient. La masse de fer obtenue est appelée "loupe" ou "renard", d'où l'appellation "renardière" donnée à ces ateliers. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
La
forge d'Oberbruck
est à
trois mille
toises N.
O. de Masevaux,
paroisse de
Séven, elle
fait partie
des possessions
connues sous
le nom
de terre
de Masevaux,
que Madame
la marquise
de Rosen
a offertes en
fief au
roi, en
1721 et
qui avant
cette époque
étaient allodiales.
Les ateliers
de cette
usine, sont
une grande
forge à
trois feux,
avec ses
halles à
charbon, un
magasin et d'autres
bâtiments
relatifs à
la fabrication
du fer
; deux martinets,
une maréchalerie
et un
bocard pour
piler les
crasses
;
des logements
pour quinze
ouvriers, une
grande maison
pour les
directeurs et
commis, avec
granges, écuries,
prés etc…
Il
existait au-dessus
de la
forge, une
renardière qui
a été
supprimée pour
les causes
que l'on expliquera
ci-après.
Cette forge
consomme environ
cent milliers
de rognures
provenant des
retailles de
la tôle
de la
manufacture
de Wegscheid
;
elle emploie
aussi les
rebuts de
ces martinets,
et à
peu près quatre
cent cinquante
milliers de
fonte lesquels
produisent ensemble
jusqu'à quatre
cent cinquante
milliers de
fers forgés.
C'est tout
ce que
les eaux
des
affineries
permettent
de faire,
parce qu'on n'a
pas entretenu
les anciens
étangs et
batardeaux
pratiqués
par M.
d'Anthez lors
de l'établissement.
On ne
compte que
1450 livres de
fonte et
de rognures,
pour 1100
livres de
fer forgé,
et seize
cuveaux de
charbon.
Un commis
et quatorze
ouvriers sont
occupés à
cette forge;
savoir, six
forgerons payés
à raison de
sept livres
par mille
seulement, parce
que les
rognures dont
ils font
usage sont
faciles à
travailler; un
livreur, un
charpentier, deux
maîtres martineurs,
deux chauffeurs,
deux valets
occupés à
plier à
bras les
languettes
parce
qu'il n'y
a point
ici les
machines établies à Bains (1) pour
cet usage.
(1)
Voyez la
description des
gîtes de
minerai et des
usines de
la Lorraine
qui suit
celle-ci.
|
allodiale : qui ne relève d'aucun seigneur, donc exempt de droits. maréchalerie
:
atelier
de maréchal-ferrant. crasses : résidus de la fusion contenant encore du métal. affinerie : forge où l'on transforme la fonte en fer. batardeau : barrage sur un cours d'eau. languette
: feuille
de fer battu destinée à être convertie en fer blanc. qui suit celle-ci : la métallurgie lorraine est traitée dans le tome 3 de la "Description des gîtes de minerai et des bouches à feu de la France." |
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Un martinet servi par un martineur (ou platineur). L'action de marteler le renard permet d'étirer le fer et de l'épurer de ses scories. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Outre
les ateliers
dont nous
venons de
parler, il
y avait
encore au-dessus
de la
forge une
renardière
à deux feux;
mais M.
d'Anthez, qui
avait établi
la renardière
pendant qu'il était fermier, observa
que deux
renardières qui
marchaient ensemble
étaient de
trop, et
la suppression
de l'une de
ces renardières
ayant été
consentie par
les seigneurs,
M. d'Anthez
détruisit la
renardière seigneuriale. Le
fermier tire
ses fontes
de la
Franche-Comté. Sa
consommation monte
à 200
milliers environ
par an.
Il ne
compte au
mille de
fer, de
poids réel,
que 1250 à
1300 livres au
plus, et
16 à
17
cuveaux de charbon,
qui ne
lui reviennent
sur les
lieux, qu'à 16 livres
la banne,
par les
entreprises qu'il
fait en
bois. Il
fabrique du
charbon par
spéculation dans
les forêts
des particuliers,
les emmagasine
et les
revend aux
maréchaux et
forgerons de
la plaine
et dans
la ville
de Muhlhausen.
Les propriétaires
des établissements
de la vallée
se plaignent
de ces
opérations. Le
fermier occupe
trois forgerons
qui sont
payés à
raison de
8 livres
du mille
de fer,
deux goujats
et un
releveur de
charbons. Il y a encore à Oberbruck un martinet appartenant à un nommé Weis. Cet atelier a été de même établi sans lettres patentes. Les fers se tirent de la renardière de M. d'Anthez. |
fermier : personne qui exploite l'usine, moyennant une redevance versée au propriétaire. On dit que l'établissement lui est affermé.
marteau à drôme : marteau de forge où le point d'action des cames se situe sur un côté du manche.
Muhlhausen : Mulhouse goujats : valet de forge
Plan des installations métallurgiques d'Oberbruck : suivre ce lien.
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Les fers de la forge seigneuriale d'Oberbruck sont employés pour la plus grande partie à la manufacture de fer blanc de Wegscheid, située à deux mille cinq cents toises N. O. de Masevaux, paroisse de Séven. Cette manufacture a été bâtie en 1718 et appartient à Madame la marquise de Rosen, elle est la première qui ait été construite en France. À cette considération, le Roi lui a accordé en 1720 (1 ) des privilèges qui affranchissent ses fers des droits d'entrée dans les cinq grosses fermes et lui accordent différentes immunités ; les lettres patentes, obtenues à ce sujet, furent enregistrées en la Cour des aides de Paris le 15 juillet 1722, en conséquence des lettres d'insinuation du 22 avril précédent. Le 28 novembre 1739, il fut expédié d'autres lettres patentes registrées au conseil souverain d'Alsace le 13 février 1740, qui prorogeaient l'effet des premières pour vingt années, à commencer du 15 juillet 1742. Le 11 novembre 1758, Madame la marquise de Rosen obtint de nouvelles lettres patentes registrées au Conseil souverain d'Alsace le 24 avril 1759, qui lui accordent encore une prorogation de vingt ans et par lettres ministérielles du 29 octobre 1702, lesdits privilèges furent continués jusqu'au premier avril 1783, et ensuite prorogés par arrêt du Conseil d'état du 18 mars 1783 jusqu'au premier octobre 1796. (1) Le dispositif de ces lettres est conçu en ces termes. " À ces causes, etc… nous avons approuvé et approuvons par ces présentes, signées de notre main, l'établissement de ladite manufacture de fer-blanc au dit lieu près de Masevaux dans la haute-Alsace, et de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, avons permis et accordé, permettons et accordons à l'exposant, par ces dites présentes la continuation de ladite manufacture pendant l'espace de vingt années consécutives à compter du jour de l'enregistrement des présentes, par tel nombre d'ouvriers qu'il jugera à propos, la mettant sous notre protection et sauvegarde. Voulons que sur la principale porte soit mise cette inscription : MANUFACTURE ROYALE DE FERS BLANCS et qu'il y puisse mettre garde de nos livrées. Faisons défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient de contrefaire ni établir d'autre pareille manufacture de fers blancs dans l'étendue de notre province d'Alsace pendant lesdites vingt années, à peine d'amende, applicable, un tiers à nous, un tiers aux hôpitaux des lieux et l'autre tiers à l'exposant, et de confiscation des outils, métaux et marchandises. Déclarons les ouvriers qui travailleront à ladite manufacture qui n'auront aucuns biens dans la communauté où elle est établie, et qui ne se trouveront auparavant employés dans aucun rôle, exempts de toutes tailles subsides, impositions et charges publiques dans ladite communauté pendant lesdites vingt années. Déclarons pareillement les fers blancs qui seront fabriqués dans ladite manufacture, francs et exempts, pendant ledit temps, de tous péages à nous appartenant, et droits de sortie dépendant tant de la ferme de nos domaines d'Alsace, Franche-Comté et Trois-Évêchés que de ceux d'entrée, appartenant à notre ferme générale de France, et en conséquence, les dits fers, destinés pour entrer dans le royaume, seront marqués et contrôlés par le commis de nos fermes, établi dans le lieu le plus prochain, et sur les certificats dudit commis, et ceux de l'exposant ou des préposés, pourront être transportés dans toute l'étendue de notre royaume en franchise, et sans payer aucuns droits aux adjudicataires de nos fermes, le tout à condition que l'exposant donnera ses marchandises pour le même prix que celles qui venaient auparavant des pays étrangers, et qu'il ne pourra en vendre, ni débiter d'autres que celles qui auront été faites et façonnées dans ladite manufacture. Permettons à l'exposant d'avoir des magasins à Besançon ou autres lieux de Franche-Comté pour entreposer les marchandises de sa fabrique et les faire voiturer dans le temps le plus convenable. Si vous mandons, etc..." Donné Paris le 14 septembre 1720. La
manufacture
de Wegscheid
consiste en
une forge,
un four
à réverbère,
une
suerie
ou étuve,
une étamerie,
et autres
ateliers nécessaires
à la
décapure et
à l'étamage
du fer-blanc.
La fabrication
monte à
douze ou
treize cents
barriques de
fer blanc
par an
; elle pourrait
être portée à deux mille
barriques. Les
cisailles avec
lesquelles on
retaille les
fers, vont
à bras
d'hommes, ainsi
que les
remplieurs de
languettes comme
nous l'avons dit. |
fer blanc : tôle d'acier revêtue d'une fine couche d'étain. Cour des aides : institution qui traite des affaires fiscales insinuation : inscription d'un acte privé sur un registre public.
exposant : celui qui présente une requête. de nos livrées : garde revêtu d'un uniforme aux armes du roi
ferme, ferme générale : financiers qui ont obtenu la charge de percevoir les droits douaniers.
suerie
: atelier
où on fait suer le fer, on
l'élève à la température nécessaire
pour le travailler. étamerie : atelier de laminage. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||
On fait venir l'étain par la Hollande et Strasbourg. On prétend qu'on n'en consomme que dix-huit livres et demie par barrique, au lieu de vingt livres qu'on emploie à Bains. En prenant douze cents cinquante barriques de fer blanc pour terme moyen de la fabrication totale, on trouve qu'on emploie à Wegscheid vingt-cinq milliers d'étain, en le comptant sur le même pied qu'à Bains. Chaque quintal revient à cent vingt livres. La livre de suif coûte douze sous; on en consomme quatre mille cinquante livres. Les six boisseaux de seigle pesant cent quatre-vingts livres se vendent dix livres dix sous. La consommation se porte à cent quatre-vingt réseaux par an. On brûle environ deux cents cordes montagnardes de bois, pour le fourneau de réverbère, les étuves et le chauffage des ouvriers. On n'y fait point usage du charbon de pierre. La consommation en charbon pour l'élargerie et l'étamerie monte de cent cinquante à deux cents bannes. Il se tire des forêts voisines, toutes appartenant à des particuliers ; la banne revient à dix-neuf livres. Cette usine occupe un maître étameur, quatre compagnons, quatre écureurs, deux platineurs, deux élargisseurs, un chauffeur, un goujat, un trempeur, un livreur, un maréchal, un valet, un voiturier, en tout vingt ouvriers et un commis. En prenant pour base les calculs que nous avons adoptés pour la manufacture de Bains, nous compterons le prix moyen de la barrique à cent huit livres, de manière que la vente annuelle doit monter environ à cent trente-cinq mille livres. Ce n'est qu'en France qu'on peut vendre ces fers blancs; en Alsace on s'en procure de l'étranger à bas prix (1). (1) Ceux de Landelsdorf près de Wund-siedel coûtent, rendus à Strasbourg, 77 Livres, 8 sous la barrique de trois cent feuilles du poids de cent cinquante livres. Ceux de Geislautern, près Saarbrück reviennent aux prix suivants: savoir, la barrique du poids de cent vingt-cinq livres, rendue à Strasbourg de 74 Livres, 10 sous à 75 Livres ; la barrique du poids de cent cinquante livres, 80 Livres. Celle de cent soixante-quinze livres 87 Livres, et celle de trois quintaux, 160 Livres. |
quintal : unité de poids, 1 quintal = 100 livres soit environ 49 Kg. suif : graisse animale utilisée lors de l'étamage pour favoriser l'adhérence de l'étain au fer. boisseau
: unité de volume,
d'environ 12 litres. Le
seigle
sert à obtenir par fermentation l'eau-sûre,
liquide acide utilisé pour décaper les feuilles de fer battu avant de
les étamer. trempeur : ouvrier qui refroidit rapidement le fer chaud pour le durcir. Wund-siedel : Wunsiedel en Bavière. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Il y a eu entre les co-fermiers de Masevaux, Oberbruck et Wegscheid de longues contestations décidées par un arrêt du Conseil souverain du 16 septembre et portées depuis au Conseil d'état. Elles ne concernent que leurs intérêts particuliers. Le fourneau de Masevaux, la manufacture de Wegscheid, et la forge d'Oberbruck pourraient augmenter leur fabrication d'un tiers, et même de près de moitié ; mais la rareté des bois, qui chaque jour se fait sentir davantage, les nouvelles usines qui se multiplient dans la vallée de Masevaux, et l'exportation qu'on fait sans cesse des charbons, si nécessaires au roulement de ces usines, nuisent beaucoup à leurs travaux. A l'époque de l'établissement des usines seigneuriales de Masevaux, il n'y avait dans toute la vallée qu'une taillanderie à Oberbruck, et une autre à Love, distante de la première de sept quarts de lieue. Maintenant il existe à l'endroit où était la taillanderie d'Oberbruck une forge en règle, appartenant à M. d'Anthez, dont nous avons parlé, un martinet nouveau construit au village d'Oberbruck, les taillanderies de Kirchberg et de Langenfeld ci-dessus décrites et dans l'emplacement de la taillanderie de Love on vient d'établir une renardière. Tous ces établissements ont été montés sans obtention de lettres patentes. De toutes ces usines, la plus importante après celles de madame de Rosen est celle de M. d'Anthez, dont nous venons de dire que les fermiers actuels de la maison de Rosen demandent la destruction ainsi que de tous les nouveaux établissements de la vallée de Masevaux; prétendant que les bois de la seigneurie suffisent à peine pour faire rouler les usines seigneuriales avec l'activité dont elles sont susceptibles ; ils demandent aussi qu'il soit défendu à toutes personnes de faire le commerce des charbons, de les sortir de la vallée et surtout de les conduire à l'étranger. |
Love
: Lauw
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Les mines. Le travail des mineurs de fer vu par le baron de Dietrich. Description du mineur vosgien : |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
"...L'habitant des Vosges travaille par goût aux mines; il porte le vêtement du mineur allemand. Comme cet habillement est inconnu dans le reste du royaume, et qu'il serait utile qu'il y fût adopté, je ne crains pas d'être trop minutieux en parlant de ses avantages. Ce qui tient à la conservation des hommes est toujours important et le devient encore plus lorsqu'il s'agit d'un travail qui les expose à des dangers continuels. Sujet à se heurter avec violence contre les traverses d'étançonnage ou contre les rochers saillants des voûtes surbaissées, le mineur des Vosges porte un bonnet de feutre épais, rond et élevé, qui préserve sa tête. Contraint d'appuyer son dos contre les parois des routes souterraines qu'il se fraye, il se garantit de l'humidité continuelle du rocher par un fort tablier de cuir qui prend sur ses reins. Obligé de se glisser par des passages étroits, un chapeau et un habit long lui seraient à charge. Il porte une jaquette légère, serrée sur les hanches par la courroie du tablier. Enfin occupé des moyens d'avoir ses mains libres pour monter et descendre sans cesse des échelles, il substitue à la chandelle une lampe à tige mobile, garnie d'un crochet que le pouce seul soutient, et qui dans les travaux peut s'accrocher partout aux moindres inégalités du rocher. Si, travaillant dans des fosses où les eaux sont abondantes, ces précautions deviennent insuffisantes, s'il est affecté de douleurs rhumatismales, si quelque partie de son corps perd le mouvement, il est promptement rétabli par l'usage des sources salutaires qui sourdent de toute part des Vosges. Les établissements de bains dans ces montagnes sont aussi célèbres que nombreux..." |
étançonnage
: action d'étayer le plafond de la galerie de la mine.
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Outillage, salaires, horaires, prix de revient : |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
aiguille : pointe effilée servant à casser et abattre les roches.
bourroirs :
Tige
avec laquelle on tasse la charge de poudre dans un trou de mine. épinglette : Tige longue et fine servant à maintenir la mèche d'allumage de la poudre pendant le bourrage du trou.
Stuffeisen : terme allemand qui désigne un outil servant à creuser un trou dans la roche dans lequel on insère un coin. coin : outil conique qui sert à faire éclater la roche.
curroir : outil avec lequel on retire les éclats de roche du trou de mine. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Suite du compte-rendu : | |||||||||||||||||||||||||||||||||||
Après
avoir rendu
compte de
toutes les
usines de
cette vallée
nous allons
nous occuper
des mines
qu'elle renferme.
Les premières
se trouvent
dans la
montagne de
la Péronne
qui fait
partie de
la forêt
seigneuriale de
Rosen. Elles
dépendent de
la paroisse
de Masevaux.
On y
voit un
filon de
mine de
fer d'un
à deux
pieds d'épaisseur;
il a
deux lisières
argileuses; il
est dirigé
sur une
heure
quatre
huitièmes, et
incliné au
levant. On
en tire
de l'hématite
noirâtre ; ce
filon s'exploite
par trois
galeries ouvertes
à cinq
ou six
toises l'une
au-dessus
de l'autre
de manière
que l'inférieure
est environ
à douze
toises de
la supérieure.
Elles ont
chacune douze
à quinze
toises de
longueur; le
filon s'y
soutient bien.
Dans
la galerie
supérieure, on
a fait
sur l'inclinaison
du filon
une foncée
qui peut
avoir vingt
pieds de
profondeur ; à
son sol
le filon
a près
de trois
pieds d'épaisseur,
son mur
est revêtu
de spath
calcaire, et
une petite
veine d'argile
le sépare
de son
toit. Le
maître mineur
a reconnu
ce filon
par des
trous d'affleurement,
sur une
longueur d'environ
cent toises. J'ai trouvé quatre mineurs employés à ces travaux, ils sont payés à raison de cinquante sous le cuveau. |
Péronne : lieu non identifié à ce jour. heure, huitième : mesures d'angles.
foncée : excavation.
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Il
y a
dans la paroisse de Houppach des minières
qui fournissent
de l'hématite
noire; ce
village n'est
qu'à onze
cents toises
au nord
nord-est de
Masevaux et
fait partie
de cette
seigneurie. Ces minières n'étant pas en exploitation lors
de ma
visite, je
n'ai pu
les voir. Ce
filon n'est
pas bien
réglé, et
il a
été mal
exploité dans
la galerie
supérieure. Il
se partage En
face du
travail de
Kohlerberg, on
a commencé
dans la
montagne de
Georgenwald une galerie sur un
filon, dont
la puissance,
au jour,
est d'environ deux pieds.
Elle n'avait
que quatre
toises lorsque
je la
vis, de
manière que
je ne
puis prononcer
sur l'importance
de cette
mine, la
dernière dont
j'aie à
parler dans
la vallée
de Masevaux,
que je
quitte pour
passer à
celle de
Thann et de
Saint-Amarin.
|
Buchburg : Buchberg Niederburbach : Bourbach le Bas Kohlerberg : Kohlberg
Georgenwald : à Sentheim
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||
Conclusion. Le rapport du baron de Dietrich donne un aperçu précis et vivant de l'activité minière et métallurgique dans notre vallée à la veille de la Révolution. On y relève également quelques caractéristiques socio-politiques de l'époque. La métallurgie s'est développée grâce à la présence des facteurs nécessaires : - le minerai de fer dans des gisements proches, dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres. - la force hydraulique des torrents vosgiens pour actionner les martinets, soufflets, lavoirs, brocards etc... - les forêts, source du bois et du charbon de bois pour fondre le métal et chauffer les fours. - la main d'œuvre disponible dans ce territoire où l'agriculture pauvre peine à nourrir les habitants. Cette métallurgie relève d'une économie strictement locale, à l'exception de la Manufacture de fer blanc de Wegscheid qui fonctionne sur une plus vaste échelle : importation d'étain depuis l'Europe du Nord et exportation vers les autres provinces du royaume de France. Le commissaire du roi souligne que la métallurgie locale ne tourne pas à plein régime en raison de l'insuffisance du bois et du charbon de bois. Non seulement les ressources forestières sont surexploitées, mais la spéculation et l'exportation de cette énergie en-dehors de la vallée aggrave la pénurie. L'énergie hydraulique est également problématique en raison du manque d'entretien des aménagements. Pourtant, jusque vers 1840, l'activité des fabriques reste prospère, se développant même grâce au débouché que constitue la fabrication des machines à vapeur et des machines textiles. Mais ensuite c'est le déclin, précipité par l'épuisement des filons. La manufacture de fer blanc de Wegscheid ferme en 1838 et le haut fourneau de Masevaux en 1859, entraînant l'arrêt des autres usines qui en étaient tributaires.
Dans cette période pré-révolutionnaire, les antagonismes sociaux apparaissent. Les nobles sont propriétaires des industries, ils bénéficient des lettres patentes du roi, mais ils sont éloignés du terrain au point même qu'ils ignorent avec précision ce qu'ils possèdent. Ce sont les membres du Tiers-État, fermiers ou petits propriétaires, qui assurent la marche des entreprises. Soucieux de leur profit, ils ne reculent pas devant les initiatives même si elles lèsent leur seigneur. Les institutions royales ne sont pas davantage respectées ; des particuliers créent des fabriques sans lettres patentes ni autorisation du Conseil souverain d'Alsace. On reconnaît dans cette classe laborieuse et dynamique la bourgeoisie entreprenante que la Révolution toute proche amènera au pouvoir au détriment de la noblesse arc-boutée sur ses privilèges. La condition ouvrière apparaît dans le rapport à travers les métiers cités et les outils employés. On apprend que les mineurs travaillent douze heures par jour pour un salaire mensuel de 9 Livres, rémunération qui permet à l'époque d'acheter environ 3 Kg de pain par jour pendant le mois. À souligner que le prix de la main d'œuvre ne représente que 13 % du coût de l'exploitation de la mine. Avec des accents lyriques, le baron de Dietrich dépeint les Vosges et les activités industrieuses de ses vallées, et exprime, certes avec un optimisme peu réaliste, sa sollicitude pour "la conservation des hommes". Dans ce sens, la "Description des gîtes de minerai et des bouches à feu de la France" s'inscrit pleinement dans l'esprit des lumières du XVIIIe siècle.
Henri Ehret, janvier 2011 |
Sur la métallurgie dans la vallée de Masevaux, voir aussi la page :