Le repli de l’armée française dans la vallée de la doller en juin 1940. 

d'après les notes du Capitaine Maurice Schmitt.

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18 Heures

L’ordre me parvient du Régiment de défendre Guewenheim jusqu’à l’aube vers 6 Heures pour couvrir l’installation du 1er Bataillon qui se replie depuis Burnhaupt-le-Haut à Sentheim. Je devrai ensuite me porter sur Lauw. Le commandement du Régiment semblant toujours ignorer que je ne dispose que de faibles éléments pour la défense de Guewenheim, celle-ci est précaire, surtout la nuit. Ce dispositif de couverture est à assurer jusqu’à 6 Heures le 19 juin. Dans l’impossibilité d’empêcher avec mon faible effectif une infiltration en cas de progression de l’ennemi sur le village, j’organise la défense à la sortie Ouest (route de Guewenheim-Sentheim-Masevaux), de façon à battre les contours du village avec les armes automatiques, le canon de 25 mm et un canon de 75 en DCB.   

 

 

 

 

 

 

 

 

Schémas de la main du Capitaine Schmitt représentant la défense de Guewenheim. 

 

20 Heures 30 

Un ordre de mise de feu vient de m’être transmis du PC du Régiment pour le pont de la Doller au Nord de Guewenheim. Selon la déclaration du sergent-artificier le dit pont n’a reçu aucune charge. Je me rends au PC du Régiment pour rendre compte et signaler que par contre la route à l’issue Est du village possède un dispositif de mine assez puissant. Le Chef de Bataillon Chabaud commandant par intérim le Régiment ne peut prendre sur lui la modification de l’ordre de mise de feu. De nouvelles instructions à ce sujet seraient à prendre auprès du général commandant le SFA (Général Salvan) remplacé à cette heure par le colonel Demange. Je me rends accompagné du capitaine Morlain au PC à Masevaux auprès du colonel Demange qui modifie la mise de feu pour le dispositif de la route. Je lui confirme à nouveau que le gros du Bataillon avec le Capitaine Tanguy n’a pas rejoint et a dû être fait prisonnier. Je reviens à Guewenheim. J’alerte le maire du village pour faire évacuer pour 0 Heure 45 le 19 juin les maisons jusqu’à la mairie (zone de sécurité). La mine saute à 1 Heure 10 endommageant une grande partie de l’Est du village.  

 

19 juin 1940

Des guetteurs étant placés aux issues Est et Nord du village, je prends le quart jusqu’au matin. L’ennemi ne se présente pas et à 5 Heures 45 suivant les ordres reçus je me replie par Sentheim sur Lauw.

Le 1er Bataillon tient défensivement Sentheim. J’y trouve le Sous-Lieutenant Meyer Joseph avec un canon de 25 mm et le Sous-Lieutenant Meyer René sans sa section. Sans mission précise à Lauw, mon premier souci est de recenser tous les éléments s’y trouvant. En armement je dispose au total le 19 juin vers 8 Heures de 6 mitrailleuses, 9 fusils-mitrailleurs, 6 canons de 25 mm et d’un groupe de mortiers sans servants.

Vers 9 Heures 30,  je reçois l’ordre d’assurer la défense du carrefour Rougemont-Masevaux-Lauw à 1500 m au Sud-Ouest de Lauw, avec un effectif de 2 sections de FV et 3 canons de 25 mm sous le commandement d’un capitaine. (Le Commandement du Régiment veut toujours ignorer que le Bataillon n’existe plus.) Je charge le Capitaine de Guinaumont du commandement de ce détachement dont la constitution n’est possible qu’en disposant des éléments étrangers à mon bataillon. A 9 Heures 30, au PC de l’école, je transmets les ordres au Capitaine de Guinaumont qui part en reconnaissance accompagné du Sous-Lieutenant Batet. L’installation étant urgente, je demande l’exécution dans le délai le plus rapide. Je mets à sa disposition 3 canons du 7e BM, 3 mitrailleuses et 3 FM de protection. Le Capitaine de Guinaumont me rend compte vers 14 Heures qu’il n’a pas encore pu se mettre en batterie, n’ayant pu franchir la Doller, le pont ayant sauté. Le carrefour est resté inoccupé à mon insu.

Vers 10 Heures, sur ordre du commandement, un canon de 25 mm m’est retiré. Vers 12 Heures, un cavalier habillé de l’uniforme français arrive sur la rive droite de la Doller à la hauteur du pont, demande le maire du village et harangue soldats et civils en présentant que c’est folie de continuer de tirer, l’armistice étant signé. Mis au courant, je trouve le maire de Lauw dans la rue m’invitant à ne pas exposer les soldats et le village. Je le somme de se rendre sur le champ à la mairie et de ne plus mettre les pieds dans la rue. Le Lieutenant Raphenne est chargé de le garder à vue. 

Le bruit de la lutte autour de Sentheim depuis 11 Heures dure tout l’après-midi. Sans ordres de défense en ce qui concerne Lauw, je place tous les éléments disponibles (sauf ceux confiés au Capitaine de Guinaumont) face à Sentheim : le 7e BM sur les passages faciles sur la Doller, et au Sud, les FM et mitrailleuses. Vers 15 Heures, l’artillerie allemande tire sur le PC à l’école qui a dû être signalé à l’ennemi. Je me porte vers la gare en direction de Masevaux. A peine entré dans le bâtiment de la gare, le tir allemand prend celle-ci sous son feu. Le premier obus touche sérieusement le toit, une vingtaine d’obus touchent à droite et à gauche. Le Sergent Christen de la Compagnie de Commandement en train de relier par fil la gare au PC est sérieusement blessé et emmené par camionnette. Je confie au Lieutenant Bitant un civil suspect à amener au PC.

Je change de place en allant à 100 m dans la carrière. Vers 16 Heures, quelques coups de fusil semblant venir de la forêt sur la rive droite sont tirés sur l’entrée de la carrière. Tous mes mouvements ont dû être signalés à l’ennemi. Durant le bombardement de Lauw, un obus est tombé au milieu d’un groupe de soldats du 7e BM tuant 4 servants d’un FM. Par suite de l’incident signalé plus haut au sujet de l’armistice soi-disant signé et du tir d’artillerie, les éléments du 7e BM sont très démoralisés.

Vers 18 Heures, un ordre me donne mission de couvrir la retraite du gros du 1er Bataillon. Or le Lieutenant du Génie commandant la mise de feu du pont sur la route entre Sentheim et Lauw me rend compte vers 17 Heures que Sentheim est encerclé et qu’il a fait sauter le pont. N’ayant jamais eu d’ordre de défendre le village de Lauw, et n’ayant plus à attendre le passage du gros du 1er Bataillon coupé définitivement, je donne l’ordre aux éléments restés à Lauw de se replier sur Sewen que j’ai à défendre comme deuxième mission.

Je confirme au Commandement du Régiment que je décrocherai de Lauw à la tombée de la nuit pour me porter sur Sewen. Je désigne le Sergent-Chef Herzog comme arrière-garde avec 2 FM. Vers 20 Heures, il a un contact avec une patrouille ennemie, tire quelques rafales et subit un court bombardement par mortier. La patrouille n’insiste pas et il décroche à son tour comme derniers éléments de Lauw.

Dès mon arrivée à Sewen, vers 21 Heures , je cherche à entrer en contact avec le Colonel Commandant le Régiment. Je ne peux malheureusement le trouver que vers 23 Heures. Il est auprès du général Salvan qui me reproche de ne pas être resté à Lauw. L’ordre que j’avais reçu était pourtant clair. Il m’assignait deux missions :

   1) couvrir le repli du gros du 1er Bataillon à Lauw.

   2) assurer ensuite la défense de Sewen.

Malgré mon objection, le Général me retire cet ordre. Il a pourtant été exécuté à la lettre et sans erreur commise. Pourquoi cet ordre m’a-t-il été retiré ? Le Colonel Demange était toujours dans l’idée que j’avais à ma disposition une grande partie du 3e Bataillon. Il prétendait que les nouveaux éléments du IIIe/171 venaient d’arriver à Lauw. Or il ne s’agissait que de quelques voitures de la CHR3 et d’un groupe de mortiers sous le commandement du Sous-Lieutenant Leuter.

 

20 Juin 1940

Ne pouvant trouver aucun lit pour me reposer et irrité par l’attitude du Général Salvan et du Colonel, je me sens à bout de forces. Sewen présente l’aspect d’un camp de fuyards de toutes les unités. Les rues sont encombrées de véhicules. En vue d’organiser la défense de Sewen, je rassemble toutes les unités combattantes et j’ai pu disposer de 6 mitrailleuses, 4 FM, 4 canons de 25 mm, 1 groupe de mortiers et 1 section de FV. A remarquer que le 7e BM n’est pas venu avec l’effectif de Lauw. Les lieutenants ne peuvent me donner d’explications sur le reste de leurs unités ni où se trouvent 2 canons de 25 mm. Le Sous-Lieutenant Leuter a directement rejoint Sewen à la suite d’un ordre général reçu à Burnhaupt. Le Lieutenant Meyer René a disparu. 

Ne trouve des postes installés sur la lisière Nord de Sewen fournis par le 321e RP qui s’est placé en attendant d’autres ordres aux lisières de la forêt. Le 318e se trouve en position sur la route vers le Ballon d’Alsace, à la hauteur des lacets de la route du Lac d’Alfeld.

Vers 8 Heures , un ordre prescrit d’envoyer à la disposition du 321e RP qui tient le barrage du Lac 2 canons de 25 mm du 171e RI sous les ordres du Lieutenant Meyer Joseph. Vers 11 Heures, je détache sur ordre le Lieutenant Perrin avec une section de FV (3 FM) au Col des Charbonniers pour la défense en direction de la route des crêtes. 

Je confie la défense Est aux éléments du 7e BM et la sortie Ouest au Capitaine de Guinaumont avec le Lieutenant Schwobthaler. Ce dernier ne dispose que de 5 mitrailleuses, 1 FM et n’a plus de canon DCB. Je renforce la défense Est où on attend l’avance des forces ennemies par le groupe de mortiers du Sous-Lieutenant Leuter.

Depuis 10 Heures, des tirs d’artillerie sont entendus depuis Masevaux. Vers 15 Heures, des artilleurs avec fourgons mais sans pièces et un grand nombre de chevaux descendent depuis le Lac d’Alfeld dans un grand désordre ce qui n’est pas sans influence sur le moral des éléments du 7e BM. Je préviens le Capitaine commandant ce détachement d’artillerie de prendre toutes les précautions en s’engageant sur la route en direction d’Oberbruck-Masevaux. Il ne donne pas suite à mon avertissement et à la sortie d’Oberbruck la colonne est prise sous un violent bombardement. On ramène à l’école de Sewen un grand nombre de blessés graves et légers.

Depuis 11 Heures, les états-majors de SFA du 171e et d’autres unités de commandement CHR2 et CHR3 du 171e RIF se réfugient à Rimbach situé dans une vallée latérale. De là le repli est prévu vers le Rouge-Gazon, montagne d’une altitude de 1176 m. « Le salut reste la forêt pour attendre l’armistice » comme s’exprimait le général.

Ce vide précipité, cette hâte de partir a également impressionné la troupe. Dans l’après-midi les éléments du 7e BM refusent de combattre, interdisant aux sous-officiers et officiers de s’approcher des pièces déjà mises hors de combat. Malgré mon intervention énergique et n’ayant plus aucun moyen d’agir sur les officiers de cette unité, je prévois le pire pour la défense de Sewen. L’esprit d’abandonner la lutte se manifeste également chez les éléments du 319e. Quant au 171e RIF le moral reste excellent et nous sommes tous décidés de nous défendre jusqu’à la dernière cartouche.

Vers 19 Heures 30 un ordre m’indique que Masevaux se trouve occupé par l’ennemi et que ce dernier s’est emparé également de la défense de Niederbruck commandé par le colonel Robillot. Je dois immédiatement et d’urgence me porter avec mes éléments sur Oberbruck pour renforcer cette défense et interdire à l’ennemi la vallée de Rimbach : « Allez vite, pour que vous arriviez avant l’ennemi ! »

Le Capitaine de Guinaumont s’embarque immédiatement avec 3 mitrailleuses et 1 FM sur des camionnettes avec tout le personnel encore présent, environ 20 fusils. Le convoi dépasse à peine Dolleren qu’il est accueilli par l’ennemi montant vers Sewen. Le Capitaine de Guinaumont lance le « Sauf qui peut ». Le Sergent-Chef Signe faisant un geste malheureux est blessé. Le Capitaine de Guinaumont réussit à s’échapper. En cherchant à modifier la défense de Sewen avec les unités du 7e BM et du 319e je ne trouve plus personne aux emplacements. Je décide alors de rejoindre Rimbach espérant trouver le Capitaine de Guinaumont dont j’ignore le sort à ce moment là. Les deux cyclistes chargés de maintenir la liaison ne reviennent plus. J’emmène le Sous-Lieutenant Leuter avec une douzaine d’hommes détruisant le matériel.

Vers 20 Heures 30, je quitte Sewen, accompagné des Lieutenants Monnier et Raphenne et du groupe Leuter, en me portant vers Dolleren. Je prends soin de longer la lisière de la forêt à l’écart de la route. Un rocher barrant le sentier nous amène sur la route près de la gare de Sewen. Moi-même, les Lieutenants Monnier et Raphenne devançons d’environ 200 m le groupe Leuter pour reconnaître le sentier menant vers la montagne. Le Lieutenant Raphenne se déplace pour amener ce groupe alors qu’à ce même instant une patrouille allemande cycliste surgit. Trop tard pour réagir, le groupe Leuter est fait prisonnier tandis que le Lieutenant Raphenne réussit à s’échapper pour nous rejoindre. Il est 21 Heures lorsque nous montons le sentier dans la forêt.

Une partie de la patrouille allemande continue à progresser sur Sewen. Au barrage de route, 2 mitrailleuses restées sur place ouvrent le feu. L’ennemi sans insister se retire. Le Sergent-Chef Herzog devant une trop grande supériorité se rend le 21 juin à 5 Heures du matin.

En ce qui concerne la capture des éléments du Capitaine de Guinaumont, c’est le Sergent-Chef Fluet qui m’en fait ultérieurement le récit. 

Dans la nuit du 20 au 21 juin, moi-même, les Lieutenants Monnier et Raphenne gagnons la montagne et atteignons à l’aube la vallée de Rimbach. Nous nous portons en direction du Rouge-Gazon. Exténués, nous nous arrêtons à la ferme du Gresson pour y rester jusqu’au 23 juin. Conduits au Neuweiher par la population (les 2 jeunes filles du chalet), une section ennemie avec mortiers nous fait prisonniers le 24 juin à 12 Heures 45. Conduits à Masevaux puis à Sentheim, nous sommes transportés le 24 juin au camp de Neuf-Brisach où je retrouve le Capitaine Tanguy.

 Fin du récit du Capitaine Schmitt.

 

Suite : le destin tragique du Capitaine Schmitt.

 

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