Jours exaltants en colonies de vacances. (8)

 

 

Rammersmatt 1988 et 1989.
 

La Maison de la Gendarmerie.

En 1988 et 1989, je suis embauché pour diriger la colonie de Rammersmatt, l'un des centres de vacances de la Maison de la Gendarmerie. Cet organisme qui a son siège à Paris, rue de Tournon, est une fondation dont la vocation est d' "aider, assister et secourir" les gendarmes et leurs familles. Selon le principe de solidarité, l'argent collecté auprès des gendarmes est redistribué en versements d'aides et pour l'organisation de centres de vacances.

[Site de la Maison de la Gendarmerie : https://fondationmg.fr/

J'ai retenu cet organisme pour deux raisons principales : d'une part son caractère strictement social et d'autre part la richesse des moyens mis au service des jeunes vacanciers. En effet, la colonie bénéficie de ressources humaines et matérielles qui ne peuvent qu'enchanter un directeur. Plusieurs membres du personnel (économe, cuisinier, chauffeur, moniteur d'escalade) sont des gendarmes détachés qui font profiter la colonie de leurs compétences et de leur dévouement. Des véhicules de la gendarmerie sont à la disposition des colons. Un car avec son chauffeur permet aux enfants de découvrir la région et de se rendre sur des lieux d'activités dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres autour de la colonie. Un fourgon Trafic emmène des équipes de colons à l'escalade et sur les lieux de camping. Enfin, une voiture R4 est utilisée pour les courses, faire une démarche ou bien pour aller consulter un médecin. Les animateurs sont pour moitié des enfants de gendarmes, et pour moitié des anciens de Chamblay et de Châtel que j'ai recrutés.

 

 
 

Rammersmatt est un village de 200 habitants perché à 500 m d'altitude dans le massif vosgien alsacien, à 6 kilomètres de Thann (Haut-Rhin). Le vaste édifice du centre de vacances est chargé d'histoire. Construit au début des années 1920, il est d'abord une fabrique de meubles en rotin qui fonctionne jusqu'en 1935. En 1937, il devient colonie de vacances de l'Association "Jeunesse heureuse" de Saint-Louis. Pendant l'occupation allemande, le bâtiment accueille les Jeunesses Hitlériennes puis un camp pour les SS. Détruit en décembre 1944 lors des combats de la Libération, il est reconstruit en 1950-1952 avec un étage supplémentaire. La colonie "Jeunesse heureuse" fonctionne à nouveau jusque dans les années 1970 où elle est rachetée et rénovée par la Maison de la Gendarmerie.

  

Encerclés de jaune, les bâtiments de la colonie dans leur environnement campagnard.

 

 

Vers 1960 : c'est alors la colonie "Jeunesse heureuse" qui accueille des colons du secteur  frontalier de Saint-Louis, Huningue et Bourgfelden, ainsi que des enfants de l'association  "Alerte Grayloise" de Haute-Saône.

La colonie en 1988. Au rez-de-chaussée de l'aile gauche : le réfectoire et l'infirmerie. Au centre : bureaux et cuisine (au sous-sol). Dans l'aile droite : la salle d'activités et les sanitaires. Au premier étage, les dortoirs. Le bâtiment annexe à gauche abrite des locaux de service et des chambres pour le personnel.

 

La colonie accueille 80 enfants de 6 à 12 ans, originaires de toute la France avec un gros contingent de la région parisienne. Un système très élaboré de convoyage par du personnel de la gendarmerie, avec une plaque tournante à Maisons-Alfort (Val de Marne), permet d'acheminer les colons jusqu'à la gare de Mulhouse où nous les réceptionnons. 

 

 

 

 

Sur cette carte de France, affichée dans le hall de la colonie en 1988, chaque point noir représente l'origine d'un enfant et chaque point rouge celle d'un membre du personnel ou d'un commensal.

 

 

A l'heure du repas... 

 

 

...l'infirmière veille à la stricte prise des médicaments sous le regard de l'animateur Dominique, futur directeur.   

 

 

 

 

Les vélos bicross de la colonie permettent aux plus grands de sillonner les bois environnants.

 

 

 

 

A tour de rôle, de petits groupes, comme ici l'équipe de Florence, vont passer une journée à la ferme Wolfersperger de Roderen, à une demie-heure de marche.

Camping en altitude et veillée autour du feu de camp.

 

 

 

 

Promenade à cheval dans le vignoble à Jungholtz près de Guebwiller.

 

 

 

 

 Ici, c'est Yves qui tient la bride : animateur  fidèle  déjà présent à Chamblay et à Châtel. 

 

 

 

Grâce à la présence d'un gendarme "spécialiste montagne", l'initiation à l'escalade est une activité quotidienne lorsque la météo le permet. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle a pour cadre un rocher situé à Thann, au bord de la Thur, et parfois, pour les plus aguerris, le site de Gueberschwihr. 

  Fière et soulagée d'arriver au sommet !

Pour partir en rappel vers le vide, la confiance absolue dans le moniteur est indispensable ! 
 

Les activités de plein-air sont entrecoupées de sorties de découverte. Les colons sont allés à l'Écomusée de Haute-Alsace à Ungersheim, à la Montagne des Singes et à la Volerie des Aigles à Kintzheim, au zoo de Mulhouse. Parfois le car dépose un groupe le matin au départ d'une randonnée dans les Vosges et les récupère le soir au point d'arrivée convenu. Ainsi les meilleurs marcheurs ont découvert le Markstein et le Grand Ballon et les lacs du Sternsee et des Neuweiher. Et quand la canicule se met de la partie, ce sont des après-midi de détente au Centre nautique de Wesserling.  

Mais la colo a aussi sa vie interne avec ses jeux et ses spectacles dont les enfants sont friands. 

Jeux de kermesse.

 

 

 

 

 

 

 

 

Soirée spectacle organisée par les moniteurs....

 

 

 

 

 

 ...ici, le final en 1988...

 

 

 ...et là en 1989.

Au centre, jupe longue et corsage orange,  Emmanuelle, ancienne animatrice à Châtel, aujourd'hui illustratrice pour enfants sous le pseudo "Manue la Cigogne."

 

 

Tous les enfants avec leur encadrement en 1988. Dans le cercle jaune, de gauche à droite : un enfant, Corinne, mon adjoint Philippe, Françoise, Sylvie.

In memoriam.

Philipe Rusafa est décédé le 23 Décembre 1992 à l'âge de 31 ans. Ceux qui l'ont côtoyé gardent de lui le souvenir d'un animateur hors pair, au contact chaleureux et doté d'une aura exceptionnelle.  

Une partie du personnel en 1988. Entre Françoise et moi, Alain et Véronique, anciens animateurs à Chamblay.

Tous les enfants avec leur encadrement en 1989.

 

 

 

 

 

Le personnel 1989 : encerclés de jaune, Jean-Jacques, économe, et Véronique, mon adjointe, à qui j'adresse mes amicales pensées.

 

 

 

La colonie de la Maison de la Gendarmerie a fonctionné jusqu'au milieu des années 1990. Cédée en 1999 à un promoteur, les bâtiments complétés par des constructions nouvelles, sont aujourd'hui transformés en logements en co-propriété.

 

Épilogue.

 

 

Lorsque se termine la session 1989 à Rammersmatt, sonne pour moi l'heure de la réflexion sur l'avenir.  Mon autorisation d'exercer échoit le 31 décembre 1989. Vais-je en demander le renouvellement pour cinq ans en effectuant le stage obligatoire ? ou bien vais-je arrêter là ma carrière de directeur de colonie de vacances ? 

Parmi les facteurs qui entrent en compte, je ne peux écarter celui de l'âge. A 45 ans, je n'ai plus la résistance à la fatigue et au manque de sommeil de mes 20 ans ! Alors que lors de mes premières directions, je n'avais guère qu'une dizaine d'années de plus que les animateurs, j'ai à présent l'âge de leurs parents, et plus d'une fois de jeunes monitrices n'ont pu s'astreindre au tutoiement d'usage dans les colos et m'ont dit "Monsieur." Sans compter que certains jeunes adultes reproduisent, envers Françoise ou moi, les rapports conflictuels qu'ils ont avec leurs propres parents !

Mais plus angoissante est la crainte qui s'est insinuée dans mon esprit ces dernières années : celle de faire "la colo de trop", la colo où un événement grave viendrait anéantir d'un coup tous les succès accumulés pendant des années. Or il y a plus d'une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes ! D'abord celle de l'accident mortel ou invalidant qui toucherait un enfant ou un membre du personnel. Les dangers se multiplient avec la généralisation d'activités à risque : baignade en mer, voile, escalade, équitation, vélo, canoë-kayak... L'intoxication alimentaire guette toute collectivité, de même que l'accident du travail menace chaque salarié. Et comment ne pas penser à la pédophilie ? Bien que je n'aie été confronté à aucun cas en colonie de vacances, les rumeurs dans les médias suscitent l'inquiétude des parents et ternissent injustement l'image des éducateurs en centres de vacances.

Les deux sessions avec la Maison de la Gendarmerie ont constitué un summum au point de vue des moyens humains et matériels dont je disposais : le désir de m'arrêter sur le faîte l'emporte finalement face à la perspective de risquer l'abîme ! Rammersmatt sera ma dernière colonie !

 

En guise de conclusion.

J'espère que cette rétrospective a su exprimer tout ce que les colonies de vacances m'ont apporté. Pendant près de vingt ans, elles m'ont élevé au-dessus de la grisaille du quotidien et permis à ma vie d'atteindre un degré d'intensité supérieure. 

Aujourd'hui, leur souvenir embellit mes vieux jours et nourrit ma méditation. 

Quand en 1876, le pasteur suisse Herrmann Walter Brion envoie le premier groupe d'enfants d'un quartier pauvre de Zurich se refaire une santé à la campagne, il donne à son initiative le nom de "colonie de vacances". Non pas "colonie" au sens d'un territoire étranger arraché à ses habitants, mais "colonie" au sens que donnaient à ce mot les penseurs sociaux du XIXe siècle. Férus d'humanisme et de foi dans le progrès, ces utopistes ont tenté de mettre en place leurs colonies idéales où l'homme nouveau vivrait libéré des contraintes du vieux monde.

J'aime à croire que les colonies auxquelles j'ai participé étaient, à leur modeste niveau, des communautés où l'utopie devenait réalité pour quelques semaines : poursuite d'un idéal partagé par tous, rapports fraternels et égalitaires entre les personnes, enfants affranchis des inégalités dues à leur pouvoir d'achat ou à leur extraction sociale.

En ce début de XXIe siècle, hélas, la frénésie de consommation semble avoir pris le pas sur les utopies sociales et les colonies de vacances ont perdu du terrain. Mais les rêves sont immortels ! Je ne doute pas que sous une forme renouvelée, l'idéal des colonies de vacances revivra !

 Henri Ehret, février 2013.

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Oh ! que nous serait triste et honteux l'avenir,
Si dans notre hiver et nos brumes
N'éclatait point, tel un flambeau, le souvenir
Des âmes fières que nous fûmes.

Émile Verhaeren, "Si nos cœurs ont brûlé en des jours exaltants."

 

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