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Ce samedi, une jeune fille du quartier se marie. Selon l'usage, un membre de chaque famille voisine est invité à la noce. Aujourd'hui, c'est à moi qu'est échu cet honneur. Les enfants mangent à une table à part dans une pièce annexe. Plus gourmands que gourmets, la gastronomie ne nous passionne guère. Mais voilà qu'arrive le dessert, c'est de la salade de fruits.
Dans mon assiette, je reconnais à la vue et au goût les fruits familiers : pommes, poires, pêches et mirabelles. Il y a aussi des quartiers d'orange dont je me délecte si rarement. Mais que sont ces rondelles mystérieuses ? Mes voisins aussi sont circonspects. Une fille plus âgée nous dit : "C'est de la banane, c'est bon !" Je ne connais ce fruit qu'à travers les dessins d'aventures exotiques. Avec quelque réticence, j'en prends un petit morceau. A peine dans la bouche, cette pulpe fondante au goût inconnu séduit mon palais. Les trois rondelles de banane de ma part de salade de fruits m'emmènent au paradis.
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Ce matin, notre mère nous a envoyés, mon frère aîné et moi jusqu'au bourg voisin pour faire une course à la droguerie. Pour l'aller, nous avons pris l'autobus. L'achat effectué, mon frère me dit : "Le bus pour le retour ne part que dans deux heures. Nous n'allons pas attendre ici à ne rien faire, nous rentrons à pied." Sa décision ne me fait pas peur ; à bientôt dix ans, je me sens d'attaque pour parcourir les sept kilomètres qui nous séparent de chez nous. Nous voici en route, marchant au bord de la départementale qui dessert les villages égrenés le long de notre vallée vosgienne. Il n'y a guère de circulation. Les rares automobiles ne sont pas un danger, mais une attraction. Quand nous entendons le bruit d'un moteur, nous nous arrêtons pour admirer l'auto qui passe. J'aime regarder les voitures, et je connais la plupart des modèles qui sillonnent nos routes. La sévère Traction Avant Citroën, le véhicule des notabilités, toujours noire avec son grand double chevron chromé sur le radiateur. La Peugeot 203 qui semble faire le dos rond. La petite et dodue 4 CV Renault, dont les ouïes d'aération trahissent le moteur à l'arrière. La Simca Aronde dont la calandre me fait penser à la gueule d'un requin. Et bien sûr, la populaire 2 CV Citroën, grise ou bleue, avec son toit bâché, son capot ondulé, et sa sonorité si particulière qui la distingue de toutes les autres. Ces autos me fascinent d'autant plus que je ne suis jamais monté dans une voiture. Ni mes parents, ni personne de leurs relations n'en possèdent. Je brûle du désir de rouler en voiture, mais comment ce rêve pourrait-il se réaliser ? Nous avons déjà fait deux kilomètres quand un ronronnement feutré nous fait tourner la tête. Une longue berline noire glisse vers nous. Mon frère s'écrie : "C'est la nouvelle Peugeot, la 403 !" J'admire sa ligne sobre, sa calandre ovale barrée d'une traverse horizontale chromée, son capot intégré aux ailes et orné du lion de la marque, son vaste pare-brise bombé. Ô surprise, la voiture ralentit, sa flèche est sortie, elle s'immobilise devant nous. J'identifie le conducteur : c'est Monsieur Studer, le patron de la scierie où nous cherchons notre sciure*. Jusqu'ici, il possédait une 203 que je voyais passer quotidiennement devant chez nous. Monsieur Studer nous a reconnus au bord de la route et s'est arrêté pour nous emmener. * Quand nous cherchions la sciure : cliquez ici. |
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Nous montons dans la voiture, mon frère à côté du conducteur, moi sur la banquette arrière, et déjà la voiture redémarre. Mon cœur bat à tout rompre et je ne sais où donner des yeux. J'aimerais que le temps s'arrête pour tout voir, tout sentir, tout comprendre. Les gestes du conducteur captent mon attention : ses mains caressent le volant de bakélite grise dans lequel un fin demi-cercle de métal actionne le klaxon. Souplement, il passe les vitesses grâce au levier à pommeau qui sort de la colonne de direction. Je scrute la planche de bord légèrement incurvée et rembourrée d'une mousse protectrice. Devant le volant, un large écran rectangulaire intègre le compteur de vitesse où les chiffres, inscrits en arc de cercle, sont gradués jusqu'à l'allure vertigineuse de 150 Km/h ! |
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Sous
le compteur s'alignent plusieurs petits cadrans dont je n'identifie que
la jauge de l'essence et une
horloge, et toute une série de boutons et de tirettes. Je suis extasié par
cette technologie qui m'apparaît comme le nec le plus ultra du modernisme !
Je parcours du regard l'habitacle La
403 se joue de la pente raide de notre rue et Monsieur Studer se gare devant
chez nous. Je le remercie
poliment, mais peut-il seulement imaginer l'inoubliable ravissement
qu'il vient de m'offrir ?
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En cette douce soirée d'automne, au coucher du soleil, un bruissement de voix m'apporte la nouvelle : des chevreuils sont sortis des bois, juste en face de chez nous, sur le versant opposé de l'étroit vallon. Électrisé, je m'empare des jumelles et me précipite dehors. Six élégants cervidés broutent dans le pré à la lisière de la forêt. Je tremble de les voir disparaître à la moindre alerte avant que je n'aie pu les admirer. Mais ils paissent paisiblement et je peux les observer à loisir. Grâce aux jumelles, je reconnais un brocard à ses bois courts se ramifiant en andouillers pointus. Près de lui, deux chevrettes sont accompagnées de trois faons qui ont dû naître au printemps. Les adultes ont encore leur pelage brun roux de l'été, et lorsqu'ils me tournent le dos, je distingue sur leur fessier la marque jaunâtre du miroir. Les faons sont tachetés de blanc ; on dirait que le soleil les éclaire à travers les feuilles d'un sous-bois. Parfois, une chevrette pointe son museau noir vers le haut et, le regard fixe, dresse ses longues oreilles à l'écoute d'un frémissement suspect puis, rassurée, se remet à brouter. Quelle
émotion de contempler ces animaux sauvages et craintifs ! Jusqu'ici, je
n'en avais aperçus que fugitivement, au détour d'un hallier.
L'apparition de ces hôtes discrets de nos forêts est un émerveillement
qui me bouleverse : je ne peux détacher mon regard de leurs silhouettes
graciles. Soudain, toute la petite harde s'immobilise une fraction de
seconde puis, en quelques bonds prodigieux de longueur et de légèreté,
regagne le couvert protecteur. A ce spectacle, un frisson esthétique me
secoue, j'éprouve le sentiment d'une idéale
beauté.
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Pendant
des lustres, les générations qui nous ont précédés dans notre maison,
cherchaient l'eau à la fontaine située en contrebas de notre cour. Vers
1925, mon grand-père s'est groupé avec trois voisins pour réaliser un
captage et une conduite d'eau sous pression qui a permis d'installer un
robinet d'eau courante sur l'évier de la cuisine. Pour ma mère, qui était
une jeune fille à l'époque, c'était un progrès inouï. A présent mère
de famille, elle aime nous rappeler combien nous sommes chanceux de
n'avoir qu'à tourner le robinet pour que, sans aucun effort, l'eau coule
à profusion. Mon
père, pourtant, ne se contente pas de cette avancée. Il a en tête de
faciliter la corvée bi-quotidienne de l'abreuvement de nos vaches. En
effet, il nous faut soit mener les bêtes à la fontaine, ce qui mobilise
trois personnes, soit porter, en plusieurs pénibles voyages, de lourds
seaux d'eau jusque dans l'étable. Deux
ou trois semaines passent puis, un jour, en rentrant de l'école à onze
heures, un étrange établi, garni d'outils inconnus, est installé devant
l'étable. Sur le sol gisent des tuyaux métalliques d'un gris brillant
et, dans des caisses, je vois quantité de coudes et de raccords ainsi que
de la filasse de chanvre évoquant la chevelure d'une femme blonde. Ma mère
me dit : "Le plombier est au travail dans la tranchée derrière l'étable
; ne va pas le déranger !" C'est un supplice de ne pas pouvoir
assouvir ma soif de voir et de comprendre. Je suis intrigué par ce qui se
passe, d'autant plus qu'il n'y a plus d'eau au robinet de la cuisine et
qu'il faut la chercher à la fontaine comme aux temps anciens ! A la sortie de l'école le soir, les travaux sont finis. L'artisan est parti avec tout son matériel. J'entre dans l'étable comme dans un sanctuaire. Que vais-je y découvrir ? Une curiosité ardente m'aiguillonne en même temps que me tenaille l'appréhension d'être déçu. Mais le doute ne dure pas : sortant du trou où il y a peu j'avais mis ma main, un tuyau de fer monte le long du mur et aboutit à un gros robinet tout neuf. J'éprouve un plaisir sensuel à contempler ces pièces comme de précieux bijoux fixés sur le mur lépreux et tapissé d'éclats de bouse. A mes yeux, le gris chatoyant du métal galvanisé a la blancheur de l'argent massif, et le jaune étincelant du laiton, l'éclat lumineux de l'or le plus pur. Après de longues minutes d'émerveillement silencieux, je quitte les lieux sans avoir osé toucher le robinet. Mais dès que mon père revient du travail, je me dépêche de retourner avec lui dans l'étable. Il examine l'installation avec attention et me lance : "Va chercher un seau !" Dès que je le lui ai apporté, il le place sous le robinet qu'il ouvre. Après quelques crachotements dus à un reste d'air dans les tuyaux, l'eau jaillit en un jet bien plus puissant que dans la cuisine. Muets d'admiration, nous regardons l'eau bouillonner dans le seau qui se remplit en moins d'une minute. Mon père arrête le jet et porte le seau à la vache la plus proche. Quand elle a bu son saoul, mon père repose le seau sous le bec et me dit :"Vas-y, fais couler !" |
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Je
dois me
hisser sur la pointe des pieds pour tourner la manette, mais j'y parviens.
Un deuxième, puis un troisième seau sont remplis et apportés aux bêtes.
"Tu vois, en quelques minutes nous avons abreuvé nos vaches !"
me dit mon père d'une voix heureuse que je lui ai rarement entendue. J'y
reconnais la satisfaction de savourer le fruit d'un travail opiniâtre et
la réussite d'un projet longuement médité. Quelle joie pour moi de
partager cet instant avec lui ! Ce robinet de laiton a servi pendant des décennies à étancher la soif des bêtes en ménageant la peine des hommes. Mais j'y ai puisé bien plus que de l'eau ! Pour moi, il a aussi été la source d'une conviction pour toute la vie, celle que l'un des plus grands de nos bonheurs, c'est de concevoir des projets, travailler à les réaliser et nous réjouir de leur réussite.
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En hiver, mes parents ne font du feu que dans une seule pièce, la cuisine, où nous sommes confinés pendant la journée. La nuit, je dors dans une chambre glaciale où, par grand froid, les vitres sont givrées sur leur face intérieure. Pour attiédir ma couche, juste une pierre chauffe-lit. C'est une brique plate, vernissée de jaune et percée d'un orifice oblong pour en faciliter la saisie. Après l'avoir laissée chauffer dans le four de la cuisinière, on l'enveloppe d'un linge pour ne pas s'y brûler et on l'insère entre les draps. Quand je me couche, frigorifié, je la cherche des pieds et la fais voyager dans le lit pour y répandre un peu de chaleur. En revanche, le jour de Noël et du Nouvel An, le poêle de la salle de séjour est allumé et ma chambre contiguë profite du chauffage. Quand je me mets au lit ces soirs-là, je baigne dans une douce euphorie. Les gestes qui d'habitude relèvent du supplice deviennent des plaisirs. Les draps sont accueillants, les couvertures moelleuses, le gros édredon léger. Et c'est dans une extraordinaire sensation de bien-être que je glisse dans un sommeil délicieux.
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C'est
un magnifique samedi de septembre. Le temps est sec et une brise parfumée
de senteurs automnales tempère un soleil encore chaud. Mes parents ont décidé
d'arracher aujourd'hui les pommes de terre de leur plus importante
parcelle. Mon frère conduit l'attelage tandis que mon père tient les mancherons
de la charrue. Il suit une rangée de plants de pommes de terre
: le soc passe sous les tubercules et les soulève avant que le
versoir, en retournant la bande de terre, les amène au jour. Avec leur
belle couleur jaune, on dirait de grosses pépites sur la terre foncée. Certaines roulent sur le côté, d'autres restent reliées en
grappe par leurs rhizomes. Ma mère et une voisine sollicitée pour
l'occasion, ramassent les pommes de terre, en remplissent leur panier
qu'elles vident dans des sacs de jute. Quant à moi, du haut de mes sept
ans, je suis l'arpète agricole qui court là où on me demande.
"Tiens-moi le sac bien ouvert pour que je vide mon panier !"
exige ma mère. "Mets-toi devant l'attelage pour faire tenir les
vaches tranquilles pendant que j'aide à ramasser !" me commande mon
frère. "Maintiens le dessus du sac fermé le temps que je le noue
!" m'enjoint la voisine. "Gratte la terre qui colle au versoir
!" m'ordonne mon père. Nous
sommes au travail depuis le début de l'après-midi. Sillon après sillon,
la partie de champ récolté s'élargit et les sacs déjà remplis forment
une jolie file du haut en bas de la parcelle. L'abondance de la récolte
instille une note d'euphorie dans les cœurs. Après les mois de labeur
ingrat, voici le jour de la récompense. Chacun éprouve la douce sérénité
de se savoir à l'abri du besoin pour l'hiver qui arrive. Lorsque les
trois-quarts du champ sont récoltés, ma mère décide que c'est l'heure
du casse-croûte. La charrue est engagée profondément dans le sol,
immobilisant les bêtes attelées qui ne dédaignent pas une pause prolongée.
Nous nous rassemblons à proximité du tombereau où plusieurs sacs de
pommes de terre pleins nous servent de sièges. J'adore ce moment où les
travailleurs fourbus forment le cercle convivial. Au bonheur du repos
s'ajoute le plaisir de se revigorer après des heures d'efforts.
Aujourd'hui, c'est jour de fête : en plus du litre de vin, ma mère fait |
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Je raffole de ce pâté de foie vendu dans des boîtes en fer de forme ovale avec lesquelles je confectionne de petits bateaux. Hélas, je n'en ai jamais mangé mon content car lorsqu'une petite boîte est ouverte, il n'en reste guère au moment où mon tour arrive ! Ma mère propose les denrées en commençant par mon père et mon frère qui font un travail d'homme. A mon grand soulagement, c'est la saucisse à tartiner qu'ils choisissent. Puis notre voisine prend du fromage. Pendant une seconde, je crains que le pâté ne soit pas ouvert. Mais aujourd'hui est vraiment un jour béni ! Ma mère déroule le couvercle de la boîte et me dit : "Tu peux avoir une tartine de pâté." Quelle délectation de la savourer, même si, de temps à autre, des particules de terre viennent craquer sous les dents ! Son odeur me chavire, son goût subjugue mes papilles, j'ai atteint le summum de la gastronomie ! Une deuxième tartine me comble : j'ai l'extraordinaire sensation d'être rassasié de mon mets préféré ! Aujourd'hui, tous les bonheurs se sont conjugués : la clémence d'un ciel agréable, la générosité de la terre nourricière, la chaude complicité dans une activité fructueuse et le succulent apaisement de la faim et de la soif.
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"C'est le mois de Marie, c'est le mois le plus beau…"
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Pas pour moi ! Car en l'honneur de la Vierge Marie a lieu chaque soir de mai une "Maiàndàcht" * à laquelle mes parents se font un devoir de m'envoyer. A force de répétition, cet office quotidien m'est devenu un calvaire. Le corps astreint à l'immobilité, mon esprit dégringole tous les degrés de la démoralisation. Au son du rosaire égrené en allemand et de cantiques incompréhensibles, les pensées mortifères me submergent. Enfin l'office prend fin. La tête basse et le moral en berne, je me presse vers la sortie. Mais à peine le portail franchi, un doux zéphyr me caresse le visage. Le soir est tombé, pourtant l'air printanier est tiède et transporte des parfums de fruits et de fleurs. Je m'en remplis les poumons et, pour m'en griser davantage, je me mets à courir. Je fuis la mort et m'immerge dans la vie. Mon souffle s'accélère, mon cœur s'emballe, mon sang bout. Mon énergie vitale est ressuscitée et pendant le trajet qui me ramène à la maison, je savoure de toute mon âme la volupté de vivre. * Maiàndàcht : office du mois de Marie.
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Deux
ou trois fois l'an, pendant la belle saison, mes parents consacrent leur
dimanche après-midi à une randonnée dans les montagnes avoisinantes.
Aujourd'hui le but, c'est le Lac des Perches, que nous appelons communément
Starnasee (Sternsee). Pour moi, les longues marches pédestres ne sont pas
un loisir attrayant ! Je trouve que les déplacements quotidiens à
pied vers l'école, l'église, les champs et les prés sollicitent déjà
trop mes jambes enfantines. Mais, n'ayant pas voix au chapitre, je dois
bien suivre le mouvement. Nous
marchons d'abord sur la route goudronnée jusqu'à la sortie du village
voisin. La traversée entre les rangées de maisons me paraît
interminable. Je déteste les regards indiscrets des commères derrière
leurs rideaux. Au bout d'une demi-heure, nous suivons un chemin forestier
pentu à travers une vaste sapinière. Ensuite, nous nous engageons sur un
sentier montagnard escarpé dans une forêt épaisse. C'est la partie la
plus sévère de la montée. Ce n'est pas tant l'effort physique qui me
rebute que l'ennui. Le paysage est bouché, tout se ressemble. Chaque
tournant du sentier me déçoit : j'espère chaque fois une nouvelle
perspective et je ne trouve que la répétition de la précédente. La
grimpée me semble sans fin et, de peur d'une réprimande, je n'ose
demander si on arrive bientôt. Enfin la forêt s'éclaircit, et le sentier, sinuant entre de gros rochers moussus, s'approche d'un étroit torrent où bouillonne une eau vive. Nous sommes en contrebas immédiat du lac ; instantanément ma lassitude s'évanouit et je dois me forcer pour ne pas courir. Encore quelques dizaines de mètres et voici le barrage qui rehausse le niveau du lac naturel. J'escalade vivement le dernier raidillon et c'est l'éblouissement. |
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A
mes pieds, dans son cirque glaciaire grandiose, le Sternsee s'étend avec
magnificence. Sa surface, que ride une brise légère, scintille des mille
étoiles que le soleil y parsème. La parfaite horizontalité du miroir de
l'onde contraste de façon saisissante avec la verticalité des versants
alentour. En m'approchant, mon regard pénètre les profondeurs limpides
puis, levé vers le ciel, parcourt l'arc des hautes falaises et des éboulis
de pierres qui encercle l'horizon. Ces flots immuables, ces rocs hiératiques,
ces sombres forêts ont vu s'écouler les millénaires. La majesté des
lieux s'impose sans l'écraser à mon âme qui vibre en harmonie avec la
nature sauvage. Mon père
interrompt ma rêverie : "Connais-tu l'histoire
de cet endroit ? Jadis, un jeune garçon, jouant un soir au bord du lac,
vit tomber une étoile filante dans l’eau. Curieux, il s’approcha de
la rive et aperçut une multitude d’étoiles au fond du lac. Se penchant
toujours plus pour les contempler, il tomba et fut entraîné dans les
profondeurs. C'est pour cela que le lac s'appelle le "Sternsee." Cette légende triste liée au paysage à la fois âpre et beau éveille en mon être un émoi romantique où la joie se mêle de mélancolie. Cette émotion tendre s'imprime si profondément dans mon cœur que désormais je ne renâclerai plus devant les longues heures de marche pour la retrouver.
Henri Ehret, mars 2010. |
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Origine des images
d'illustration :
Titre : site "Photobucket." Banane : site "Manilenyo in Davao." 403 : blog "Nihal Mahindaratne." Tableau de bord : site "Caradisiac." Robinet : site "Maison Brico." Vierge : : site "Rosaire de Marie." Sternsee : photo de l'auteur. |
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