Histoire locale de Masevaux et de sa vallée.

 

La situation dans la vallée de la Doller après la reconquête française.

Extrait d'un article paru dans "Le Temps" le 15 décembre 1914.

"Sur une population de 12 000 habitants, la vallée, amont et aval, jusqu'à ce que la rivière coule en plaine, en compte un tiers qui travaillent, en temps de paix, aux usines et dans

les filatures et tissages. Depuis la guerre, les hommes, pour la plupart, sont partis. Ceux qui ont pu se dérober à l'appel allemand des réserves se sont dirigés, pour s'engager sous nos drapeaux, vers Belfort. Ceux qui faisaient partie de la territoriale, ou "Landsturm", ont été évacués par l'autorité militaire sur la France. Il ne reste plus de la population mâle que les vieillards, les infirmes et les adolescents. Les fabriques ont dû cesser tout travail ou ne travailler qu'avec un personnel très réduit. J'en ai visité quelques-unes; elles font peine à voir.

Sur des personnels de 250 à 300 ouvriers, celles qui marchent n'en ont plus à présent qu'un cinquième ou un quart, inexpérimentés presque tous. D'autre part l'énergie électrique fait défaut. Des vastes usines de Rheinfelden qui la captaient sur le Rhin, et d'où elle était transportée par câbles à Mulhouse, d'autres usines, naguère, la transmettaient dans les vallées de Saint-Amarin et de Massevaux. Les Allemands ont cessé de la servir. On a recouru à la machine à vapeur. Là, autre inconvénient : le charbon manque. On alimente au bois les chaudières, mais l'expédient est incommode et coûteux. Le chemin de fer a cessé de desservir les vallées. Ni le ravitaillement en matières premières, ni  l'écoulement des produits manufacturés ne peut se faire.

De là, une effroyable misère dans le pays. Quand le chef de bataillon,  qui administre aujourd'hui la région au civil comme au militaire entra en fonctions le 26 septembre, il faillit reculer devant sa tâche. Toutes leurs sources de revenus ayant été taries par la guerre, les municipalités n'avaient pas un sou devant elles ; les habitants n'avaient pas davantage de  vivres. Isolés du reste du monde et claquemurés comme autant de Robinsons dans leur vallée solitaire, les gens de Sewen, de Dolleren, d'Oberbruck, de Wegscheid, de Kirchherg, de Niederbruck, de Sickert, de Massevaux et de Sentheim avaient perdu depuis deux mois tout contact avec la vie extérieure.

Pour les plus riches, pas de journaux, pas de lettres, et dans des coffres-forts remplis de valeurs, pas d'argent. Les commerçants refusaient d'accepter la monnaie allemande dépréciée. Inutile d'ajouter que la monnaie française brillait par son absence.

Les écoles, qui comptaient une population de cinq cents élèves, et qui eussent dû, dès le 1er  septembre, s'ouvrir à leur turbulente clientèle, s'obstinaient à demeurer fermées. Les enfants, livrés à eux-mêmes, pêchaient l'écrevisse ou la truite, dévalisaient sans scrupule les vergers ou dévastaient les champs. La nuit, obscurité complète dans les rues, et dans les maisons, frustrées de la lumière électrique, pas d'autres éclairages que celui des bougies ou des vulgaires chandelles.

Le commandant réunit les municipalités, les notables et sollicita leur concours. Les premières apportèrent des titres, les seconds les garanties des communes et. leur bonne volonté. Les banques alsaciennes, qui ont des filiales à Belfort prêtèrent sur les titres. On eut ainsi de quoi payer les approvisionnements que le gouvernement français, à la requête du commandant, fit envoyer par convois réguliers à Massevaux. Le numéraire manquant fut remplacé par des bons que les maires mirent en circulation. Les usines locales, transformées,  fournirent de la lumière. Des cyclistes militaires se chargèrent de la distribution et de la levée des lettres, de l'expédition et du payement des mandats. Une garde civile bien choisie, assura le maintien de l'ordre, et le commandant lui-même, siégeant au lieu et place du juge de paix d'outre-Rhin disparu, rendit, comme feu Saint-Louis, une justice patriarcale et gratuite.

Les écoles enfin se rouvrirent, et l'on y enseigna le français. Ce sont les premières qui aient  fonctionné en Alsace.

La charité fut organisée. Avec le concours des dames du pays, le commandant créa des soupes populaires, et les miséreux purent, eux aussi, se rassasier. On leur servit le même pain qu'aux bourgeois, la glorieuse boule de son. En attendant que le gouvernement intervienne et qu'il serve aux familles de ceux qui luttent bravement dans nos rangs l'allocation quotidienne d'un franc vingt-cinq pour la mère et les cinquante centimes par enfant allouée dans toute la France aux familles des mobilisés, nos troupiers ont pris l'initiative de nourrir la marmaille et la légitime de leurs frères d'armes alsaciens. Ils partagent avec ces pauvres gens leurs rations de pain, de légumes et de viande, et cet élan spontané de compassion n'a pas seulement touché tous les cœurs : il les a conquis définitivement à la France."

                                                                                           François Thiébault-Sisson

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