CENTENAIRE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE. |
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Document. |
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A
la fin de l'année 1914, dans
une longue lettre, un médecin militaire fait part à une amie des observations,
sentiments et réflexions que lui inspire son séjour dans les villages de la
haute-vallée de la Doller, trois mois après leur occupation par l'armée
française. |
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Nota
: Les extraits de la lettre sont en couleur bleue, les ajouts (sous-titres,
annotations, précisions) en rouge foncé, les commentaires en vert. Les noms des localités
ont été mis sous leur forme actuelle.
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Exorde. ... «
Ce
qu'a été ma vie depuis
un mois, comment vous le dire ? Comment, surtout,
vous le faire comprendre, vous le faire
sentir ? Il y
a de ces tableaux que la plume ne
peut peindre, de
ces émotions qu'aucun mot ne peut
rendre. Je suis
ici dans une atmosphère nouvelle, dans un
air que je n'avais pas respiré
encore ! On m'avait dit,
mais je ne savais pas. Maintenant,
j'ai vu, je vois
et je sais.
Puissiez-vous, madame, voir un peu à travers mes
paroles ! Comme moi,
puissiez vous sentir ces mouvements
du cœur que je vais
m'efforcer de vous faire partager.
» ... |
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D'abord
en poste au Ballon d'Alsace, le médecin-major rejoint la vallée en
novembre 1914 : |
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... « Enfin, le 15 novembre, l'ordre vint de déguerpir. Une partie seulement du bataillon devait hiverner sur les crêtes, le reste allait occuper la vallée de Masevaux. Personnellement, avec l'état-major, je devais loger à Oberbruck. A
Sewen. Je
voudrais, madame, vous
montrer comme il
conviendrait notre descente du Ballon,
dans la neige, par
une journée merveilleuse,
notre arrivée à Sewen,
par le plus beau
soleil qu'on puisse
rêver, notre
réception par les
camarades, notre défilé devant
l'église, sur la petite place
où les habitants,
tous accourus, nous
accueillaient de
leur plus franc sourire, les acclamations des enfants
qui criaient : "Vive
la France !" Tout le long
de la route,
ce fut cet enthousiasme discret, un peu timide encore, mais que l'on
sentait sincère, jusqu'à notre cantonnement, où
les visages souriants nous prouvaient la joie
que tous avaient de nous recevoir. |
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Sewen pendant la Première Guerre mondiale.
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Le cantonnement. «
Je
ne
m'attarderai
pas
à
vous
décrire
Oberbruck, petite localité
pittoresque
comme
tous
ces
villages
de la haute
montagne. Sachez
seulement que
j'y
suis
logé
dans
un
appartement
très
commode,
d'une
maison
appartenant
à
une
vieille
dame
fort pieuse,
qui
a mis sa propriété
à
notre
entière disposition. Ses
chambres sont
de
véritables
chapelles.
Pas un
tableau
profane, à
part
le
salon.
Là
où
je couche,
il
y
a aux
murs quelques douzaines
d'images
des saints
au Paradis,
avec
de curieuses prières
en
allemand,
prières
qui
m'ont
appris
(ce
qui
peut
m'être
utile)
que
saint
Vit
était
le
secours
dans les
maladies
nerveuses
; saint
Blaise,
le guérisseur
du
torticolis
; qu'il fallait
implorer
saint Erasme dans les
coliques, sainte
Pauline dans les
maux
de
dents. J'ai
un
grand
Christ
à
la tête
de
mon lit
; au
pied,
un
prie-Dieu.
Quand
je
m'éveille, saint
Joseph
me
sourit
; si
je
me
tourne
à
droite,
sainte Véronique me
tend
la
sainte
face.
A
gauche,
entre
le
mur,
c'est,
dans un cadre de
Notre-Dame
des
Ermites,
le
bouton
électrique entre
trois bénitiers. N'y
a-t-il
pas
là
de
quoi
guérir
le
pire
mécréant
? Heureusement que cette cure
m'est
inutile
; j'ose
même
dire que
trop
de
piété n'est
pas
de
mise
en
campagne.
» |
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Apprendre
l'allemand. « C'est pourquoi j'ai cherché un dérivatif dans l'étude de l'allemand. Il me fallait un professeur à qui je puisse causer et qui ne craindrait pas de piquer mon amour-propre en se moquant un peu des fautes de son élève. Il s'est trouvé tout naturellement, dès le premier jour, dans la personne d'une gentille petite Alsacienne, de cœur bien français, dont la famille (une des meilleures d'ici) nous a chaudement accueillis à notre arrivée. Et, le soir, c'est l'occasion de causeries, de veillées, où le petit vin blanc d'Alsace, des meilleurs crus, contribue à me délier la langue, ou, plutôt, à la lier à ces syllabes dures et gutturales, qui, cependant, sont loin de déplaire sur des lèvres féminines de vingt ans. En
famille. D'autres
relations sont aussi pour moi
du grand agrément.
Figurez-vous que je suis tombé ici dans le village
d'origine d'un de mes anciens camarades
de collège, avec lequel j'ai été très
lié, et que j'ai
perdu de vue
depuis vingt-deux ans.
Dans sa maison, (ou plutôt son château natal),
habitent
en ce moment, sa vieille grand-mère, ses
deux tantes et
une jeune dame,
toute gracieuse et
toute triste, ce
qui ne la rend que plus sympathique.
La source des
larmes qui, souvent,
inondent ce beau visage, vient de ce qu'un
officier français
(père de deux enfants blonds : un petit garçon et
une petite fille) est prisonnier
en Allemagne, grièvement atteint de trois blessures.» * les personnes désignées dans ce paragraphe pourraient être : - la "vieille grand-mère" : Joséphine Sommervogel, épouse Édouard Zeller (1830-1918) - les "deux tantes" : peut-être les filles de Joséphine Sommervogel : Marthe Zeller épouse Desferrières (1868-1940), et Caroline Zeller épouse Damotte (1871-1944) - la "jeune dame" : la petite-fille de Joséphine Sommervogel : Madeleine Schirmer, épouse Haas (1885-1965) - l' "officier français...prisonnier en Allemagne" : Victor Haas (1882-1922). [mais sa fiche militaire ne fait pas état de blessures] - les "deux enfants blonds" : Jean Haas (1912-1984) et Thérèse Haas (1913-1971) |
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«
Le nom seul de mon camarade eût suffi pour me mettre
au mieux avec tout ce monde;
une recommandation vint
ajouter encore à
la vertu de ce
talisman : ce
fut celle du commandant du groupe de
l'armée de Belfort,
dont nous faisons partie. La fille de ce commandant* est
fiancée à un
jeune homme de cette famille*. Aussi, celui-ci
est-il, pour toutes ces
dames, de la plus
grande prévenance. *
il s'agit de la fille du Commandant Louis Borie, Geneviève
Borie (1895-1922) qui en 1915 épousera André Zeller (1888-1970) La
santé des enfants de
sa future parente étant, pour le père, une cause
de soucis, il était tout naturel qu'on me demandât de veiller à
ce que rien de fâcheux
n'arrive. C'est
pourquoi, de temps
en temps, vers le
soir, je vais
faire un petit brin
de causette dans l'intimité, à la grande joie des
petits, qui sont
vite devenus avec moi
des plus familiers et
mes meilleurs amis. Visite
aux écoles. Tout
ce que je viens de vous dire,
madame, dans les lignes qui
précèdent, est ce que
je pourrais appeler le côté sentimental de
mon séjour à Oberbruck. Il
y a un côté
plus positif,
c'est mon service.
Il est quelque peu
différent de celui du Ballon. Je
visite tous les
jours les villages de Rimbach, Dolleren et
Sewen, et, très souvent, je
vais à Masevaux, à cheval, bien
entendu. Ce n'est
pas très compliqué
au point de vue médical, et, comme toute
la matinée est à
moi, je m'arrête de temps
en temps dans les
écoles, où,
à Dolleren, le
curé, ailleurs,
les Sœurs de la
Providence, commencent à apprendre le français. De
quel plaisir seraient pour vous,
madame, de telles visites ! Voyez la scène. J'entre.
Tous les enfants se
lèvent. -
Bonjour, monsieur
le médecin-major !
Puis, ils récitent, à tour de rôle, la leçon qu'ils ont apprise, tant bien que mal, en français, et que la Sœur leur explique en alsacien. C'est extrêmement curieux ! Ces
enfants qui, il
y a six semaines, ne savaient, pour la plupart, pas un
mot de notre langue, disent couramment, aujourd'hui, leur
Ave (le Pater
est plus long et
plus difficile). Ils
chantent : "Saint
Nicolas, mon bon
patron", "Frère Jacques, dormez-vous ?" Sans
hésiter, ils nomment
les divers objets de
l'école, les parties
du visage, du costume. Ce
matin, ils m'ont
tous redit, en chœur, une
poésie, "Le
Petit Français." On
est étonné de voir ces
petits de trois,
quatre, cinq
ans, parler ainsi,
sans accent. Les
Sœurs elles-mêmes sont
surprises de la rapidité des
progrès, surtout chez les filles. Samedi
dernier, pour la Saint-Nicolas,
je suis allé
à l'école d'Oberbruck,
avec le commandant.
Nous avons distribué des paquets de
bonbons. Comme tout ce petit
monde était heureux
!
C'était à qui nous
embrasserait ! Il
faut, madame, dire
et redire tout ce qu'il y a
d'attachement pour la France dans
cette population alsacienne.
On le comprend
si bien, quand
on voit les manifestations toutes spontanées,
toutes naïves de la
confiance des petits
enfants, que l'on
cause avec leurs parents, leurs institutrices, leurs curés ! Jusqu'à
ces derniers temps, les uns et les
autres ont eu peur
de se montrer
tels qu'ils étaient.
Maintenant
qu'ils se sentent en
sécurité, ils osent,
dans l'intimité,
se découvrir, et,
quand l'Alsace sera redevenue Française,
qu'ils oseront
tout à fait, ce
sera, de leur part, suivant le mot d'un de leurs
curés, comme une "explosion", d'un éclat
dont on n'a pas idée en France et que, déjà,
nous pouvons deviner ici. Pour
moi, c'est une chance et un
bonheur d'assister et de contribuer,
pour ma faible part,
à ce renouveau.
» |
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Les
Sœurs
de
la Divine Providence. «
Médecin
de la vallée de
Masevaux ! Qui m'aurait dit
que je le serais un jour
? Comme médecin et comme officier, vous
l'avez vu, je
vais dans les meilleures familles ; volontiers, on se confie
à moi. Par métier,
mieux que tout autre, j'ai l'habitude
de scruter, de chercher ce
qui révèle un trait de caractère,
et je puis dire
qu'en ce qui concerne
l'Alsace, je suis
émerveillé. J'admire surtout le rôle des Sœurs de la Providence, dont la supérieure, à
la maison-mère de
Ribeauvillé, est une Française
de cœur, née
de parents français,
qui a toujours discrètement entretenu chez ses religieuses les sentiments d'amour les plus purs
pour ce qu'elles appelaient la "patrie
perdue". Ces
sœurs-là, madame, se
font une joie, en ce moment,
d'éveiller dans le cœur
des enfants ce qu'elles savent bien
qu'il y sommeille ; elles y
mettent toute leur âme et elles
comptent que, dans
quelques mois, leurs
élèves comprendront
notre langage. Il
est bon qu'on
le sache et qu'on
rende hommage à leur
dévouement. |
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Vive
la France ! Merde la Prusse ! L'école
n'est pas notre seul noyau de propagande. Les petits
Alsaciens y ont appris ce
beau cri de :
"Vive la
France !". Mais au dehors,
chez eux, dans
la rue, ils y
ajoutent autre chose. Quand je
passe à cheval
dans chaque village, surtout à
Kirchberg, les mioches, garçons
et filles, courent autour
de moi. -
Bonjour ! Salut,
monsieur ! Vive
la France ! Vive la
France ! M...
la Prusse ! M...
! M... la Prusse
! C'est
d'un entrain merveilleux ! Vous n'avez pas
idée de ce qu'ils y mettent
de conviction et d'ardeur, et
d'ensemble ! Ah ! ce mot de Cambronne !
il a été
"pigé" tout
de suite, celui-là ! Nos soldats
(si ce sont eux)
n'ont pas eu
beaucoup de peine à le faire
retenir, et, pour le retour
de la langue française en
Alsace, il aura bien mérité
de la patrie
! Les enfants de deux ou
trois ans le
savent déjà
! C'est extraordinaire
! Tenez,
avant-hier, je traversais Dolleren en compagnie de
deux camarades. Un
gosse en robe
était sur le pas d'une porte,
pleurant, chiquant, hurlant
comme les gosses savent le faire à cet âge. Sa mère lui
fichait des taloches
! Tout à coup, il nous aperçoit ;
il s'arrête, nous
regarde ; il
ne pleure plus.
" Vive
la France !" Il
rechigne ! Une taloche ! "M...!
M... la Prusse ! M...
la Prusse !!!",
jusqu'à extinction de voix. |
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Sur
sa missive, le médecin-major a apposé deux cachets dont il explique
ainsi la présence :
... «
Je
surprends chez
vous un regard
étonné.
Quel
est
ce
papier
? Quel
est
ce
sceau qui décore
l'en-tête de
ma
lettre
? |
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La seconde partie de la lettre est consacrée aux opérations militaires dans le secteur des deux Aspach. Ce sujet est traité ici. Le médecin-major reçoit son baptême du feu et, pour la première
fois, est confronté à des morts et blessés. Bouleversé, il exprime son
émotion et son espoir d'un avenir de paix lorsque la France aura recouvré
l'Alsace. Il ignore, hélas, que quatre longues années meurtrières le séparent
encore de ce moment. ... «
Je
me
souviendrai, madame, de cette petite école de
Roderen.
Toute
ma vie,
je
verrai
ces
faces
pâles,
ces uniformes
déchirés,
ce plancher, ces matelas
tachés du
sang de
nos
soldats. J'ai
ressenti
là
une
des
plus
fortes
émotions
de
ma
vie,
et
c'est
avec
piété
que j'ai
soutenu
ces
têtes
et
pansé
ces
plaies glorieuses. ... Péroraison. Petites écoles d'Alsace, qui avez abrité les souffrances des soldats qui ont grandi sur les bancs de vos sœurs de France, comme vos maîtres nouveaux devront vous aimer, comme vos élèves devront vous chérir, vous dont les murs rediront votre histoire, simple, mais belle par les grands exemples dont vous avez été témoins ; belle par les douces plaintes que vous avez entendues ; belle, surtout, par la mort de ceux dont vous avez reçu le dernier soupir pour la patrie ! » ... * * * |
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Ce témoignage est publié en 1915 dans Les Annales Politiques et Littéraires. Il illustre la propagande patriotique qui exalte la francophilie des Alsaciens. Cependant, le tableau dressé par l'officier français pèche par excès d'optimisme. On notera par exemple que le médecin-major ne rencontre que des notables, des sœurs enseignantes, des curés, d'autres officiers. Son récit ignore la large majorité des villageois qui font face à de graves problèmes depuis le début de la guerre. Tandis que les hommes de 20 à 38 ans sont partis à la guerre dans l'armée allemande, les autres hommes, âgés de 17 à 45 ans, ont été évacués par l'armée française vers le midi pour éviter leur mobilisation dans le Landsturm en cas de retour des Allemands. L'économie souffre donc de pénurie de main d'œuvre, mais aussi du manque d'approvisionnement en charbon et matières premières. En effet, le chemin de fer vers Cernay et Mulhouse est coupé par la ligne de front et tous les circuits économiques de la période allemande sont interrompus. Les réquisitions de bétail par l'armée pénalisent la petite agriculture locale. Pour la population civile, le ravitaillement en vivres, notamment en farine, est problématique, rendant précaire la survie des habitants. Un article du journal parisien "Le Temps" du 15 décembre 1914 reconnaît la situation désastreuse dans la vallée de la Doller reconquise. Un extrait de cet article en cliquant ici. |
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Henri Ehret, mai 2017. Mise à jour août 2018. |
Sources : |
- le site Gallica publie la lettre du médecin-major parue dans Les Annales Politiques et Littéraires, 1915. - identification des personnes citées dans la lettre grâce au site Geneanet et aux précisions apportées par M. Jean-François Haas. |
Illustrations : |
-
vues des villages : extraits de cartes postales sauf la photo d'Oberbruck
téléchargée du site Gallica (Origine : voyage de Maurice Barrès en
Alsace reconquise.)
- cachets de Dolleren : lettre du médecin-major, site Gallica. |
Autres pages d'histoire relatives à la Première Guerre mondiale : Les opérations militaires dans le secteur de Masevaux en 1914. Louis Bassenne : un enfant du Pays de Clerval au service de la France. |