Histoire locale de Masevaux.

CENTENAIRE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.

 

Les opérations militaires dans le secteur de Masevaux en 1914.

La période étudiée s'étend d'août à décembre 1914.

Le territoire considéré est celui du Groupement de Masevaux, soit l’amont de Masevaux jusqu’au Ballon d’Alsace et l’aval jusqu’à Mortzwiller, Guewenheim, Roderen et Aspach-le-Haut. (carte ci-dessous.)

Les noms de lieux sont transcrits selon leur forme et orthographe actuelles.

Les encarts sur fond gris entre les chapitres indiquent les événements de la guerre sur les autres théâtres d'opération. 

 

La vallée de Masevaux est située au cœur du conflit qui oppose la France et l’Allemagne. Du sommet du Ballon d’Alsace à Guewenheim, la plupart des communes touchent la frontière qui, depuis 1871, sépare l’Empire Allemand de la République Française. En 1914, les habitants de la vallée sont citoyens allemands depuis 43 ans. Très peu d’entre eux parlent le français.

 

 

Soldats français au sommet du Ballon d'Alsace où passe la frontière franco-allemande de 1871.

Sur la borne au premier plan, la lettre D [pour Deutschland] indique le côté allemand.

 

 

 

Le 31 juillet à 12 heures, l’empereur Guillaume II décrète l'état de danger de guerre [Kriegsgefahrzustand] et, le 1er août, donne l’ordre de mobilisation générale. Par trains entiers, les hommes de 22 à 38 ans quittent la vallée pour rejoindre les centres de mobilisation de l'armée allemande. 

 

Stratégies allemande et française.

Lorsque le 3 août 1914 la guerre est déclarée entre la France et l’Allemagne, la stratégie allemande ne prévoit pas de porter ses efforts sur la frontière du sud de l’Alsace. La vallée de Masevaux est faiblement défendue : pas de troupes dans la haute vallée, seulement quelques douaniers et gendarmes, et de très faibles effectifs dans la basse-vallée.

En revanche, l’état-major français a planifié une pénétration en Haute Alsace destinée à prendre Mulhouse, Colmar et Sélestat, puis à s’emparer des ponts sur le Rhin. Cette avancée doit constituer l’aile droite de l’offensive majeure sur la frontière en Lorraine, en direction de Sarrebourg et Morhange.   

Préparation de l'offensive française.

Sous l'autorité du général Thévenet, l’attaque française est activement préparée à Belfort, place forte où se concentrent les troupes et dans les localités environnantes proches de la frontière. 

Le 4 août, une patrouille de 5 chasseurs à cheval commandée par le lieutenant de Ruppierre, partie de Giromagny passe la frontière en amont de Riervescemont, et évitant Sewen, descend la vallée au galop vers sept heures du soir. A Oberbruck, un gendarme allemand prend la fuite à la vue des cavaliers. A Niederbruck, la route étant barrée par des platanes abattus, la patrouille emprunte la voie de chemin de fer. L'entrée Nord-Ouest de Masevaux est fermée par une barricade de branchages et de madriers recouverts de terre. Les Français se retrouvent sous le feu nourri de l'infanterie allemande. Le lieutenant de Ruppierre est atteint d'une balle qui lui traverse la cuisse. La patrouille se replie et remonte la vallée jusqu'à Sewen où elle est rejointe par un peloton de chasseurs saxons. A la faveur de la nuit noire, les Français réussissent à rallier Riervescemont où ils font leur rapport à minuit.

Le 5 août, une autre patrouille arrive jusqu'à Lauw où les chasseurs français tuent 5 cavaliers allemands. 

Du 2 au 6 août, la zone frontière est également reconnue par une escadrille de Breguet biplaces ; ces avions ont survolé à 1300 m d'altitude les environs de Soppe-le-Haut ainsi que la haute-vallée. 

Le 6 août, une section de 11 sapeurs commandés par le lieutenant Careaux et le sergent-major Perrin fait une incursion en territoire ennemi sur le ban de Masevaux. Ce commando a pour mission de détruire la tour d’observation allemande qui s'élève au sommet du Sudel* pour surveiller les mouvements autour de Belfort. La tour n’est pas occupée par les Allemands : en moins de 3 heures, les sapeurs scient les pieds de la construction puis brûlent la tour abattue avant de se retirer vers Belfort. * sommet (altitude 915 m) à 2,5 km au sud-ouest de Masevaux.

 

La tour d'observation du Sudel.

La photo représente un premier observatoire érigé en 1911 et détruit en octobre 1913 par des activistes de Rougemont-le-Château.

D'après le plan relevé par le sergent-major Perrin, la tour détruite en août 1914 était une pyramide tronquée d'environ 50 m de hauteur et dont la base  rectangulaire mesurait approximativement 20 m x 15 m.  

 

Chronologie de la guerre :  - 1eraoût : l'Allemagne déclare la guerre à la Russie.

 - 2 août : mobilisation générale en France. L'Allemagne envahit le Luxembourg.

 - 3 août : l'Allemagne déclare la guerre à la France et à la Belgique et envahit la Belgique.

 - 4 août : le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Allemagne.

 - 6 août : l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie.

1. Du 7 au 25 août 1914 : le chassé-croisé des offensives. 

 

Première offensive française.

Le vendredi 7 août à l’aube, l’offensive française, mobilisant 19 000 hommes et commandée par le général Bonneau, est déclenchée sur un front de 24 km de large allant d’Altkirch à Thann.

C’est au 3e Bataillon du 42e RI de Giromagny qu’est assignée la prise de Masevaux. Les troupes franchissent la crête par le col des Sept Chemins et le Col de la Fennematt  et se dirigent vers Masevaux par le Lochberg et le Bruckenwald. Dans la matinée, les pantalons rouges entrent dans le bourg par Stoecken sans coup férir. Les jours précédents, les Allemands avaient fait abattre des platanes pour barrer la route de Rougemont au niveau du cimetière et fait sauter les réserves de poudre près du Grambaechle, mais se sont retirés avant l’arrivée des Français. Viennent ensuite le 11e Chasseurs à cheval, un peloton cycliste et des éléments du 172e RI.

L'arrivée des troupes françaises à Masevaux.

Les cartes postales montrent des reconstitutions de l'événement. La date indiquée est erronée (6 août au lieu de 7 août.)

Des chasseurs à cheval sur la place du marché.

 

Les poilus ont formé les faisceaux dans la cour de l'école des filles.

Vue prise en 1915 quand l'école abritait une ambulance. [hôpital temporaire] 

 

 

Soldats devant la mairie de Masevaux.

 

En début d’après-midi, Lauw et Sentheim sont investis sans heurts. Les quelques Allemands qui tenaient un petit poste à Sentheim l’ont abandonné.

A Guewenheim sont cantonnés des uhlans de Mulhouse qui patrouillent le long de la frontière. Ils font abattre des arbres pour barrer la route de Soppe et ordonnent d’élever une barricade avec du matériel agricole entre l'église et la gare, mais finalement, ils se replient avant l’arrivée d'un millier de Français du 35e RI qui entrent dans le village dans l’après-midi du 7 août, l’arme à la bretelle. Le lendemain, ces troupes repartent en direction de Michelbach, après avoir capturé un premier prisonnier, en fait un Alsacien de Soultz qui a déserté les rangs allemands.

Le matin du même jour, Soppe-le-Bas est pris après une échauffourée qui oppose l'avant-garde française à des cavaliers allemands. Aspach-le-Bas est également investi par des troupes françaises venues de la vallée de Thann.

Les jours suivants, les villages de la vallée voient passer plusieurs régiments français qui avancent vers l’Est. Le 9 août, plus de 2000 hommes cantonnent à Sentheim.

Le 8 août, Mulhouse est prise, première grande ville d'Alsace reconquise.

 

 

Premier repli français. 

Mais la VIIe armée allemande du général von Heeringen prépare la contre-attaque. Un train blindé de huit wagons fait la navette entre Müllheim et l'Île-Napoléon, concentrant l'infanterie dans la forêt de la Hardt aux abords de Mulhouse. Le 9 août, de 17 heures à 20 heures, la bataille fait rage. Les troupes françaises doivent se replier, abandonnant le terrain conquis.  

Le 10 août, on se bat dans le secteur Oelenberg / Burnhaupt / Schweighouse / Aspach. A Aspach-le-Bas, après des bombardements destructeurs, retour violent des soldats allemands qui traitent les habitants en ennemis alors qu'ils sont leurs concitoyens. Le 11 août, les combats approchent de Guewenheim tandis que soldats et matériel refluent vers la frontière par Sentheim et par Soppe-le-Haut, protégés par des dragons venus de Belfort pour couvrir la retraite.

Le 13 août, alors que se déroule sur le front de Montreux-Vieux / Chavannes-sur-l'Etang la sanglante bataille qui empêche les Allemands de pénétrer en France, l’avant-vallée de la Doller et le vallon du Soultzbach sont à nouveau occupés par les Allemands. Ces derniers se retranchent au nord de Guewenheim sur le coteau couvert de vignes dont ils replient les piquets à l’oblique pour faire obstacle à la cavalerie. Et sur la colline du Grueth*, ils installent de l’artillerie qui bombarde Lauw où les Français se sont maintenus. * entre Guewenheim et Michelbach, au nord du camping actuel.   

 

 

Seconde offensive française.

Le flux et reflux des deux armées ennemies continue sans délai. En effet, le général Joffre ordonne le rassemblement d'une force bien plus importante, l’Armée d’Alsace, qui, avec ses 115 000 combattants placés sous les ordres du général Pau, doit reprendre immédiatement l’offensive en Haute-Alsace.  

Le 14 août, entre 2 heures et 5 heures du matin, plusieurs centaines de chasseurs alpins, dans leur tenue bleu foncé* caractéristique, descendent au trot la haute-vallée en direction de Masevaux. C'est le 28e bataillon commandé par le lieutenant-colonel Brissaud-Desmaillet, élément précurseur de la 41e division de l’Armée d’Alsace. Regroupé à Masevaux vers midi, il repart ensuite vers Roderen. Le chef d’une patrouille de 4 uhlans qui surveillent l’avancée des Français est tué d’un coup de feu. * en raison de cette couleur, les villageois locaux les appelaient "die Schwartzen" [les noirs]   

 

 

 

 

Passage d'une unité française à Masevaux.

 

 

 

Le même jour, l’infanterie française est à Sentheim. Les jours suivants, plus de 3000 hommes sont dans ce village. Le 15 août, Guewenheim est à nouveau aux mains des troupes françaises. Parmi elles, des éléments du Train qui transportent des bateaux et du matériel de pontage prévus pour traverser le Rhin. Aspach-le-Bas est également réoccupée par les Français en route vers le Nord.

Les jours suivants, l’avancée de l’Armée d’Alsace semble irrésistible. Le 18 août, elle atteint la ligne Tagsdorf / Hochstatt/ Morschwiller-le-Bas / Wittelsheim et, le 19 août, elle occupe Mulhouse pour la deuxième fois. Plus au nord, les faubourgs de Colmar sont atteints.  

 

 

Second repli français.

Mais, pendant ce temps, en Lorraine, c’est l’échec de l’offensive : du 21 au 23 août, la France perd la bataille des frontières. Les Ière, IIe, IIIe et IVe Armées sont obligées de se replier si bien que l’Armée d’Alsace se retrouve dangereusement en pointe. Au même moment, toutes les forces françaises sont nécessaires pour endiguer l’avancée allemande vers Paris. Le commandement français renonce à l’occupation de l’Alsace qui ne présente pour l’heure pas d’intérêt militaire. Il se résout à abandonner de son plein gré le terrain conquis et à ne conserver en avant de la frontière de 1871 que des effectifs limités pour protéger la trouée de Belfort et barrer l’accès aux vallées vosgiennes.

L’Armée d’Alsace est disloquée et le gros de ses troupes transporté vers Paris et la Somme. A nouveau, Mulhouse est évacuée et les troupes se retirent vers Belfort et les Vosges. Guewenheim et Sentheim voient repartir les Français. A Guewenheim, leur retraite est tellement précipitée que les soldats n’ont pas le temps de manger la soupe du soir que les roulantes distribuent à pleines marmites aux civils.  

 

Chronologie de la guerre :  - du 5 au 23 août : violents combats en Belgique opposant les troupes allemandes aux armées belges, françaises et britanniques.

 - 14 août : bataille de Lorraine : offensive française vers Morhange et Sarrebourg.

 - 17 août : offensive russe contre la Prusse Orientale.

 - 21 au 23 août : la France perd la bataille des frontières.

 - 24 août : début de la retraite des armées françaises et britanniques. Le Nord de la France est envahi.

 - 25 août : la bataille de Lorraine se termine par un statu quo.

 - 26 août : victoire des Allemands face aux Russes à Tannenberg.

 - 31 août : poursuite de la retraite franco-britannique. Les Allemands sont à Compiègne. Le gouvernement français se replie à Bordeaux.

2. Fin août à fin septembre 1914 : l'incertitude. 

 

Pendant qu’au nord de Paris et sur la Marne se déroulent des batailles cruciales, les grandes opérations cessent sur le front de Haute-Alsace. Malgré le calme relatif, la vallée de Masevaux vit dans l’insécurité et l’incertitude. Le va-et-vient incessant des troupes pendant plusieurs semaines engendre à l'égard des Français le doute, voire la défiance, qu’aggravent des mesures brutales comme les réquisitions, l’arrestation d'otages et l'emprisonnement de suspects : fonctionnaires allemands, personnes originaires d’outre-Rhin ou habitants soupçonnés de germanophilie.

 

 

Le no man's land.

Les Allemands ne réoccupent pas tous les villages évacués par les Français. Ils se tiennent sur une ligne Burnhaupt-le-Haut / Pont d’Aspach / le Kahlberg* / Aspach-le-Bas. Avec le retour des Allemands le 6 septembre, ce village change d'occupants pour la quatrième fois depuis un mois. 

*colline située entre Aspach-le-Bas et Pont d'Aspach qui contrôle les routes vers Cernay, Masevaux, Mulhouse et Belfort.  

De leur côté, les Français contrôlent Mortzwiller, Lauw, Bourbach-le-Haut, Bourbach-le-Bas. 

Entre ces deux lignes : Sentheim, Guewenheim, Rammersmatt, Michelbach, Roderen font partie d’une zone tampon où les belligérants ne s'aventurent que sporadiquement. 

Les 9 et 10 septembre, la Brigade Active de Belfort et un bataillon du 172e RI avec deux batteries de 75, passant par Soppe-le-Haut, Guewenheim, Michelbach, Roderen et Leimbach, se portent au secours de Thann en empêchant les Allemands de tourner Vieux-Thann par le sud. Sur leur lancée, les Français occupent le Kahlberg et Pont d'Aspach, mais dès le 11 septembre, par une violente contre-attaque, les Allemands reprennent leurs positions.   

Pour la basse-vallée, c'est le retour au statut de no man's land où les patrouilles des deux camps s’épient et se livrent à des escarmouches lors de rencontres fortuites. 

Certaines sont meurtrières : ainsi le 24 septembre, une patrouille de 16 cyclistes allemands qui revient de Sentheim tombe dans une embuscade française à l’entrée Ouest de Guewenheim. Deux Allemand sont tués, cinq blessés et sept faits prisonniers ; un rescapé rejoint son unité à Burnhaup t. Les Allemands soupçonnent les civils du village de complicité avec les Français. Une jeune fille de 19 ans, que des témoins avaient vue en conversation avec les soldats français, est dénoncée aux Allemands, arrêtée, traduite devant le conseil de guerre et emprisonnée en Allemagne*.  * libérée en 1918, elle est décorée de la Croix de guerre. 

Les deux camps se disputent également les hommes qui relèvent du Landsturm [réservistes allemands de 17 à 45 ans.] Quand le 15 septembre, les Allemands veulent mobiliser ceux de Guewenheim, ils arrivent trop tard : les Français les ont déjà fait partir vers la haute-vallée. Le 16 septembre, les mobilisables du Landsturm des villages sous contrôle français (environ 1200 hommes), traités en prisonniers de guerre, sont forcés de partir à Bussang d’où ils sont envoyés dans le sud de la France. La vallée est vidée d'une grande partie de ses forces vives : les hommes de 20 à 38 ans mobilisés par les Allemands, ceux de 17 à 20 ans et de 39 à 45 ans internés par les Français.

 

Chronologie de la guerre : - 4 septembre : les Allemands occupent Reims et atteignent la Marne.

 - 5 au 10 septembre : bataille de la Marne. L'offensive allemande est stoppée. 

 - 9 au 13 septembre : les Allemands se replient sur l'Aisne.

 - 8 septembre : victoire allemande contre les Russes en Pologne. Repli russe.

3. Fin septembre à fin octobre : installation du groupement de Masevaux. 

 

A partir de la fin septembre, le commandement français met en place une organisation destinée à pérenniser la présence française dans les territoires alsaciens reconquis. Sous l’appellation "Groupement de Masevaux", un Bataillon* de marche du 172e RI, un Bataillon du 43e RIT** et deux compagnies de douaniers*** sont chargés de la garde du Ballon d’Alsace et de la défense de la vallée de Masevaux. 

* En 1914, un régiment d'infanterie (3400 hommes) est divisé en 3 bataillons de 1120 hommes. Un bataillon comprend 4 compagnies de 280 hommes. Une compagnie réunit 4 sections de 70 hommes, chacune comprenant 2 demi-sections, dirigées par un sergent. Un caporal dirige une escouade de 15 soldats.

** RIT : régiment d’infanterie territoriale : c'est une unité composée d'hommes âgés de 34 à 49 ans, considérés comme trop âgés pour intégrer un régiment de première ligne d’active ou de réserve. Le 43e RIT rassemble, à côté d'une majorité de Vosgiens, des Lyonnais, des Francs-Comtois et quelques Alsaciens

*** jusqu'en 1945, les douaniers étaient des militaires.

 

Effectifs et occupation du terrain.

Sous les ordres du Chef de Bataillon Borie*, secondé par 42 officiers, le groupement compte environ 2200 hommes. Il s’agit de fantassins, d’un peloton cycliste de 20 hommes et d’une section de mitrailleuses Hotchkiss. Pour le transport des munitions, bagages et vivres, le groupement est doté de 13 voitures hippomobiles (dont une médicale) et de 34 chevaux ainsi que d’une automobile avec son chauffeur. Ordres et rapports sont transmis par téléphone (un poste central à Masevaux, d’autres postes au Ballon d’Alsace et à Oberbruck), par cyclistes et par une estafette à moto. Les approvisionnements sont assurés depuis la gare de Lachapelle-sous-Rougemont, sauf pour les troupes du Ballon d’Alsace qui sont ravitaillées depuis Saint-Maurice sur Moselle.

 

* Pierre Louis Jean Borie (1865-1943)

Né à Brive-la-Gaillarde (Corrèze), Louis Borie devance l'appel de sa classe et gravit tous les échelons de la hiérarchie. Sergent-major en 1888, il entre à l'École militaire d'infanterie d'où il sort sous-lieutenant en 1891. Capitaine en 1901, il est Chef de Bataillon quand la guerre éclate. En poste sur le front d'Alsace jusqu'en février 1915, il participe ensuite à l'expédition de Salonique et se bat en Macédoine, Serbie et Albanie. Il revient sur le front ouest en août 1918 avec le grade de lieutenant-colonel. Après la guerre, il est commandant de l'École militaire d'infanterie de Saint-Maixent. Général de brigade en 1923, il est commandeur de la Légion d'Honneur. 

(Photo prise à Masevaux en 1914 par Jeanne Wehling, petite-fille de l'industriel Isidore André, mise à disposition par M. Daniel Willmé.)

Le commandant Louis Borie.

Lors de l’installation du groupement le 26 septembre, la répartition des unités est la suivante :

-   3 compagnies du bataillon du 43e RIT avec état-major du bataillon au Ballon d’Alsace (commandant Jude).

-   1 compagnie du bataillon du 43e RIT à Sewen. 

-   1 peloton aux Plaines. [près de la ferme du Wissgrut]

-   2 compagnies du bataillon de marche du 172e  RI à Masevaux avec état-major du bataillon (commandant Borie).

-    2 compagnies du bataillon de marche du 172e  RI à Lauw.

-    1 poste sur la route de Sentheim, au niveau du pont routier et du pont du chemin de fer sur la Doller. Ce détachement prépare la destruction des deux ponts qui doivent être dynamités en cas d’attaque ennemie.

-    1 poste à Mortzwiller en contact avec les troupes de Lachapelle-sous-Rougemont.

-     2 compagnies de douaniers : l’une à Masevaux (capitaine Dentz), l’autre à Niederbruck (capitaine Canard).   

Le  13 octobre, le bataillon du 172e RI rentre à Belfort, remplacé par un bataillon du 49 RIT (commandant Laniel).

 

Sur un fond de carte actuel, le territoire du groupement de Masevaux. Il est délimité à l'ouest et au sud par la frontière, au Nord par la ligne de crête du Rossberg et à l'Est par le No man's land. Son flanc droit est constitué par les troupes de Belfort avancées jusqu'au vallon du Soultzbach et aux abords de Burnhaupt, son flanc gauche par les unités basées à Thann qui visent Steinbach, Cernay et les Aspach. Origine du fond de carte : Google Maps. 
Frontière franco-allemande de 1871.

No man's land de fin août à mi-décembre 1914.  

 

Sommet.

Lignes allemandes.

Point d'appui stratégique.

Front stabilisé fin décembre 1914.

Ligne de crête Nord

 

Mission du groupement.

La mission du Groupement est d'abord défensive et se résume ainsi : "Interdire à l’ennemi d’entrer dans la vallée, de traverser la vallée et de sortir de la vallée."

Dans cette optique, il doit absolument tenir le goulet naturel que forme la vallée à Lauw, le nœud de routes de Masevaux et les points d’appui comme le Sudel, le Baerenkopf et le Ballon d’Alsace. Les troupes échelonnées de Masevaux au Ballon doivent empêcher l’ennemi de traverser la vallée et d’en déboucher. 

En septembre et octobre 1914, le commandant Borie ordonne des reconnaissances quotidiennes. D’une part, il s’assure des possibilités défensives de la vallée en cas d’attaque allemande et, d’autre part, il veut déterminer les positions occupées par l’ennemi et déceler ses éventuelles intentions offensives.  

 

Reconnaissance des crêtes. 

Au début du mois d’octobre, les patrouilles explorent les crêtes qui dominent la vallée. Au Sudel, plusieurs jours sont consacrés à la vaine recherche d’un deuxième observatoire (voisin de celui qui a été détruit le 6 août) qu’un garçon de 15 ans dit avoir vu quelques mois auparavant. Finalement, il s’avère que l’hiver précédent, avaient eu lieu dans le plus grand secret, des manœuvres allemandes et autrichiennes au cours desquelles des observatoires ont été construits, mais démontés à la fin des exercices. La rumeur publique pensait que ces installations existaient toujours.  

Au nord-ouest du Sudel, le commandant Borie en personne reconnaît les chemins vers le Baerenkopf qui offre une large vue vers le Ballon, Giromagny, le Ballon de Servance, et vers les vallées de la Doller, de la Savoureuse, de la Madeleine et de Saint-Nicolas. Il constate que les accès à partir de Masevaux, étroits et abrupts, ne permettent pas d’acheminer de l’artillerie vers ce sommet. Cependant les fermiers de la Fennematt lui indiquent que le Baerenkopf est accessible aux voitures en passant par Sewen. Le commandant étudie la nature des terrains, les pentes, les communications par les cols, inspecte les retranchements et fait l’inventaire des abris disponibles sur les sommets en vue de l’hivernage.  

Au Ballon d'Alsace, abri militaire français bien isolé contre le froid.

Sur le chemin forestier qui relie Oberbruck au Col des Charbonniers [chemin du Gresson], les militaires découvrent une piste inconnue des habitants qui s’en détache pour rejoindre une plate-forme de 10 m sur 12 m, entourée d’arbres, d’où l’on a une vue parfaite sur la Fennematt, le Wissgrut, le Ballon d’Alsace et le Langenberg. Ils pensent que c’est un dispositif préparé pour l’artillerie allemande. Le commandant retient qu’en cas d’avancée allemande, il faudra détruire ce dispositif soit par l’artillerie depuis la Fennematt ou le Langenberg, soit en rendant la voie d’accès impraticable en abattant les arbres qui la bordent.

Des détachements installés à Oberbruck, Sewen et Rimbach ont pour mission de contrôler les chemins menant vers le Lachtelweiher, la Fennematt, Mollau, le col des Charbonniers et les accès au Ballon d’Alsace.

 

 

 

 

 

Une unité de dragons traverse Oberbruck.

Photo probablement prise en juin 1915. A cette date, le 15e Régiment de Dragons est cantonné dans la haute vallée : l'état-major à Oberbruck, un escadron à Dolleren, un à Kirchberg, un à Niederbruck et un à Sickert. 

 

 

(Photo mise à disposition par M. J.M. Ehret.)

Sur le versant nord-est, les chemins de Masevaux vers Houppach, Bourbach-le-Haut et Bourbach-le-Bas sont jugés aptes au déplacement de toutes les armes ; par contre, le chemin de Thann à Bourbach-le-Haut par le Hunsdsruck* n’est pas praticable pour l’artillerie.  *avant l'aménagement de la route Joffre en 1915.  

Nombreuses photos de la construction de la route Joffre sur le blog de Serge Lerch : "Histoires et Traditions de Bourbach-le-Haut."

Reconnaissance du no man's land.

En aval de Masevaux, les reconnaissances recherchent les positions et les déplacements de l’ennemi et établissent la jonction avec les forces amies établies au sud à Lachapelle-sous-Rougemont et au nord-est à Thann.  

Fin septembre, les patrouilles visitent Mortzwiller, Soppe-le-Haut, Houppach, Bourbach-le-Haut, Bourbach-le-Bas, Roderen, Sentheim et Guewenheim. A part deux déserteurs allemands capturés à Guewenheim, aucun contact avec l’ennemi.  

 

Soldats français à Lauw. 

 

On note la présence des rails de la ligne de chemin de fer Cernay-Sewen qui fonctionna pendant la guerre entre Sentheim et Sewen.

Début octobre, plusieurs rencontres avec des patrouilles ennemies se produisent dans le secteur de Guewenheim. Des coups de feu sont échangés et les douaniers capturent deux Allemands. Au nord de Guewenheim ainsi qu’au Nord-Est de Sentheim, contre la route allant de Sentheim à Bourbach-le-Bas, les Allemands creusent des tranchées. Par ailleurs, des informations non vérifiées courent dans la population : 50 Allemands auraient été vus à Roderen et 10 000 soldats auraient débarqué à Mulhouse en vue d’une prochaine offensive.

Le 8 octobre, pour décourager une éventuelle attaque ennemie, le général Sauzède, dont dépend le groupement de Masevaux, ordonne une action de démonstration sur les tranchées de Guewenheim. A 8 Heures du matin, 3 compagnies se mettent en place à Lauw et, en restant bien visibles, simulent une attaque sur Guewenheim de façon à inciter les Allemands à gagner leurs tranchées. A ce moment-là, l’artillerie, postée à la sortie de Soppe-le-Bas sur la route de Guewenheim, ouvre le feu sur les tranchées. Une dizaine d’obus sont tirés dont l’un porte juste, les autres sont trop longs.

Toujours dans l'optique de se garantir contre une initiative ennemie, le commandement français avance ses troupes : le 14 octobre, Sentheim est occupé par une compagnie et des avants-postes sont établis sur la route vers Guewenheim et vers Bourbach-le-Bas, ainsi que dans la forêt de l’Oberwald dans le triangle Lauw / Sentheim / Mortzwiller. 

 

Un peloton cycliste français fait une halte à Sentheim.

Les Français s’installent aussi à Bourbach-le-Bas et placent un avant-poste à Rammersmatt. Et, surtout, ils occupent, entre Bourbach-le-Bas et Roderen, la hauteur (cote 475) depuis laquelle on a une vue étendue sur les villages environnants ainsi que sur Mulhouse et la plaine. Cette position nommée en allemand "Rodernhöhe" est appelée "Signal de Roderen" par les Français pour qui ce point d’appui face aux lignes allemandes est un appréciable gage de sécurité.

En 2014, vue sur Mulhouse depuis le Signal de Roderen.

Le 12 février 1915, le président de la République Raymond Poincaré visite le Signal de Roderen. Il écrira dans "Au service de la France. Les tranchées : 1914." 

Au signal de Roderen, nous découvrons à nos pieds, sous une brume légère, la magnifique plaine d’Alsace, et là-bas, les blancheurs de Mulhouse, et plus loin, les montagnes de la Forêt-Noire. Pour le moment, ce n’est même pas la terre promise, c’est la terre perdue et interdite. Nous contemplons longuement cet immense panorama. Un ballon captif allemand chargé d’observer nos lignes et de renseigner l’artillerie ennemie, est là pour nous dire : "Vous ne tenez qu’une parcelle de l’Alsace. Vous n’avancerez pas davantage." 

 

 

Les jours suivants sont consacrés à réunir des renseignements sur les intentions de l’ennemi auprès des habitants. Certains sont coopératifs, mais d’autres répandent la méfiance vis à vis des Français par peur des Allemands dont ils estiment le retour imminent. On apprend que les Allemands prévoient d’attaquer le ravitaillement qui va chaque jour de Lauw à Sentheim et Bourbach-le-Bas. Par précaution, l’itinéraire de l’approvisionnement passera dorénavant par Houppach et Bourbach-le-Haut.

A Guewenheim, les habitants disent voir moins d’Allemands qu’en septembre. Cependant, le 11 octobre, deux soldats y seraient venus et repartis complètement ivres.

Une jeune fille de Rammersmatt venue à Masevaux par Roderen, Guewenheim et Sentheim, déclare que des cavaliers allemands viennent souvent à Roderen, à l’auberge du bas du village, demander des renseignements aux habitants. En approchant de Guewenheim, elle a vu les tranchées allemandes échelonnées dans les bois et renforcées par des abattis entrelacés, mais aucun soldat ne les occupait. 

A la mi-octobre, les évènements se concentrent sur Guewenheim. Dans la journée du 16, les Allemands y procèdent à une réquisition de bétail. En réaction, les Français envoient 30 hommes commandés par un sous-lieutenant s’emparer du bétail restant, au total 80 bêtes qui sont amenées à Sentheim. Par mesure humanitaire, le commandant décide de rendre les vaches laitières et les génisses aux habitants. 

Le 19 octobre, 40 douaniers commandés par un lieutenant se heurtent à Guewenheim à une patrouille allemande de 6 à 8 hommes. Un Allemand est tué, les autres s’enfuient. Le tué est un dragon de réserve wurtembourgeois. Plus tard, on apprend qu’un second Allemand est mort de ses blessures. 

Le 21 octobre, un peloton français de 32 hommes retourne à Guewenheim : ils n’y trouvent pas d’ennemis, mais les habitants disent que 6 Allemands étaient là le matin même et sont restés de 10 H à 11 H au sommet du clocher. Il semble que les Allemands soient basés à Heimsbrunn et viennent presque chaque jour en éclaireurs jusqu’à Guewenheim.  

Chronologie de la guerre :  - octobre : la "course à la mer" : déplacement des armées françaises et allemandes vers le nord-ouest en direction de la Mer du nord.

 - 9 octobre : les Belges abandonnent Anvers. Presque toute la Belgique est aux mains des Allemands.

 - 15 au 27 octobre : bataille de l'Yser entre les Belges et les Allemands.

 - 20 octobre : les Allemands en difficulté face aux Russes sur la Vistule.

 - 26 octobre : début de la bataille d'Ypres qui oppose les Allemands aux Belges, Britanniques et Français.

4. Fin octobre à fin décembre : la reconquête du no man's land. 

 

Accrochages dans le no man's land.

Progressivement, les Français s’emploient à étendre leur contrôle sur la zone tampon, non sans heurts et pertes. Le 23 octobre, ils essuient des coups de feu en explorant les bois aux abords de Michelbach où se trouve un avant-poste allemand. Le képi d’un douanier est traversé par une balle sans autre dommage pour lui.

Le lendemain, un peloton de 13 cyclistes qui sécurise la route de Sentheim à Bourbach-le-Bas rencontre une patrouille allemande d’1 officier et 5 hommes : l’officier allemand est tué, deux de ses hommes traînent le corps dans les bois, les autres tirent pour couvrir leur repli.

Le même jour, des douaniers font une reconnaissance dans les vignes au nord-est de Guewenheim. Ils ne voient pas que les tranchées sont occupées et sont accueillis par des coups de feu. Trois hommes sont touchés, un seul peut être ramené blessé. Les deux autres, tombés aux mains des Allemands, sont également blessés, dira le curé de Guewenheim.  

 

Crainte d'une attaque allemande.

A partir du 26 octobre, la tension monte en raison des renseignements recueillis : des renforts allemands importants sont arrivés à Aspach-le-Haut et de l’artillerie est postée en arrière de Pont d’Aspach, dans la forêt à l’Est de Guewenheim, ainsi que près de l’institut Saint-André [appelé à l'époque "Idiotenanstalt"]. Le commandant Borie craint une prochaine attaque sur Masevaux par le secteur de Roderen et donne les ordres suivants :  

    -   renforcement des troupes à Bourbach-le-Bas.

    -   avancée des troupes de Masevaux sur Lauw et, si nécessaire, avancée des troupes de Sewen  sur Masevaux et de celles du Ballon d’Alsace sur Sewen.

    -   renforcement de tous les postes par des travaux de retranchement et de pose de barbelés.

    -  fortification par tranchées et blockhaus du Signal de Roderen qui doit être tenu à tout prix, avec appui de l’artillerie et des troupes de Thann.

    -   les sections de fusils mitrailleurs dans les avant-postes se relaient par moitié toutes les 48 Heures.

    -   la moitié de l’effectif est maintenue au repos forcé dans la journée pour être prête en cas d’attaque de nuit.

Cependant, l’attaque redoutée n’est pas déclenchée ; les Allemands restent sur la défensive, peut-être parce que les événements dans le nord de la France et en Russie les obligent à prélever des troupes en Alsace.

 

 

Occupation progressive du no man's land.  

Au mois de novembre, les Français poursuivent le grignotage du no man’s land. Ils avancent leurs positions vers Roderen et Michelbach et s’efforcent d’interdire l’accès de Guewenheim aux Allemands. Ceux-ci multiplient les fusillades contre les avants-postes français, apparemment pour maintenir les troupes sur le qui-vive et les fatiguer.

Les 7 et 8 novembre, soutenus par l’artillerie, les Français avancent sur la ligne de la Doller entre Sentheim et Pont d’Aspach. Le village de Guewenheim, occupé par 2 compagnies, passe sous contrôle français permanent et, le 10 novembre, Michelbach est investi. 

Cavalerie française à Michelbach.

Poilus lors d'une corvée à Roderen.

Les Allemands se tiennent dans les bois au sud-ouest d’Aspach-le-Haut. Ils n’occupent que faiblement ce village, au contraire d’Aspach-le-Bas. Les cyclistes allemands circulent sur la route entre les deux Aspach.

Le secteur de Burnhaupt est également le théâtre d’affrontements. Un officier allemand et plusieurs soldats sont faits prisonniers et amenés à Guewenheim. Cependant l’avancée française est bloquée au niveau de la gare de Burnhaupt.

 

 

Les offensives de décembre. 

A la fin du mois, les Français sont tournés vers l’offensive : l’objectif est de sécuriser la communication entre Thann et Belfort par la route Thann / Roderen / Sentheim.* Pour cela, il faut éloigner la menace ennemie en repoussant les Allemands à l’Est des deux Aspach. * une liaison ferrée Sentheim-Belfort sera créée.

Dans cette perspective, des effectifs très nombreux issus des secteurs voisins (Belfort et Thann) et renforcés par de l’artillerie se joignent aux unités du Groupement de Masevaux. Camille Braun, l’estafette motocycliste, voit 3000 hommes à Guewenheim les 12 et 13 décembre et estime à 10 000, voire à 15 000, les soldats en mouvement le 25 décembre : une troupe considérable mais de faible cohésion, comprenant des éléments disparates avec des réservistes et des territoriaux de plusieurs régiments.   

Prise d'Aspach-le-Haut. 

Le 1er décembre, les batteries de 120 installées au Signal de Roderen et les 155 Rimailho de Thann bombardent pendant plusieurs heures les deux Aspach, avec concentration du feu sur la lisière Ouest d’Aspach-le-Haut. Trois compagnies du 213e RI des troupes de Thann donnent l’assaut et occupent Aspach-le-Haut que les Allemands ont évacué.

 

Aspach-le-Haut occupé par les Français.

Le 2 décembre, les canons français prennent pour cible la lisière Ouest d’Aspach-le-Bas et notamment le cimetière fortifié. Les Allemands répliquent. Le duel d’artillerie dure toute la journée ; aucune attaque n’est tentée contre Aspach-le-Bas.

Le même jour, une unité de Thann, installée dans les bois à l’ouest d’Aspach-le-Haut, s’y croit en sécurité et fait du feu pour préparer le repas. La fumée du feu révèle sa position à une pièce allemande qui tire 3 obus : 16 hommes sont blessés, 1 tué.  

Un médecin-major, présent au Signal de Roderen, relate cet épisode dans " Les Annales Politiques et littéraires, 1915."

"Une seconde après, trois obus éclataient dans le bois, en face de nous ; leur fumée blanche montait au-dessus des arbres. Une heure après, nous apprenions qu'un homme avait été tué, que seize autres, blessés, avaient été transportés à Roderen. Immédiatement, je suis parti vers ce village, sur le conseil du commandant. Dégringolant un chemin encaissé, qui va du Signal vers Roderen… je suis arrivé près de l'église, au cimetière crénelé par les Allemands, qui l'occupaient l'avant-veille et, dans la salle d'école, j'ai trouvé les seize blessés, qu'un médecin était en train de panser. C'étaient les premiers que je voyais sur le champ de bataille. Tous ces jeunes gens ! Pauvres petits ! Trois étaient grièvement atteints. A deux d'entre eux, une balle de shrapnel avait troué la poitrine ; l'un, à demi assis, sans souffle, un peu d'écume rose aux lèvres, se mourait ; un autre avait été atteint au bas-ventre, à la vessie ; les autres aux membres, bras ou jambes.

 

Lettre de ce médecin-major sur son séjour dans la vallée de Masevaux : cliquez ici

Le 6 décembre, l'industriel masopolitain Isidore André obtient l'autorisation exceptionnelle de se rendre à Thann par Bourbach-le-Bas et Roderen. En passant par le Signal de Roderen, il observe : "De nombreux canons à droite et à gauche de la route étaient bien camouflés, avec des abris blindés pour les hommes, et dans les talus du bord de la route, de nombreuses cachettes pour les munitions, puis vers le haut, de longs et énormes canons que je n'avais jamais vus. Sur l'autre côté du versant, de nombreux barrages en fils de fer barbelés, ayant une profondeur de cinq à huit mètres. C'est aussi des abris où étaient installées des mitrailleuses". Extrait de "La Grande Guerre dans la vallée de Masevaux, d'après le journal de guerre d'Isidore André" de Daniel Willmé.

Les jours suivants, les positions acquises sont activement fortifiées avec l’aide de travailleurs civils réquisitionnés. 

Le 10 décembre, les Français occupent la gare d’Aspach qui constitue leur base avancée pour s'emparer d'Aspach-le-Bas.

La gare d'Aspach : un kilomètre de terrain  découvert et exposé aux tirs allemands la sépare du centre d'Aspach-le-Bas.     

Le 13 décembre, une attaque contre le Kahlberg échoue, les Français perdent 25 tués et 30 blessés, sans même que les défenseurs allemands terrés dans les tranchées aient été aperçus.  

Pour épauler les troupes de Thann, les unités du groupement de Masevaux sont concentrées vers l’avant. La garde de la vallée du Ballon à Masevaux inclus est laissée à la charge de deux compagnies de douaniers. Le reste des effectifs renforce l’occupation de Bourbach-le-Bas, Roderen et Aspach-le-Haut. Tous les deux jours, les compagnies alternent pour occuper successivement Lauw, le Signal de Roderen et Aspach le Haut. L’état-major s’avance également de Masevaux à Bourbach-le-Bas.  

 

Attaque d'Aspach-le-Bas.

Une action d’envergure simultanée sur Steinbach et Aspach-le-Bas doit desserrer l'étreinte des Allemands sur Thann dont ils ne sont éloignés que de 3 km.   

L'offensive sur Aspach-le-Bas est confiée au 242e RI de Belfort renforcé par un bataillon du 359e RI, un bataillon du 43e RIT et deux bataillons du 53e RIT. Le jour de Noël 1914, par une température glaciale, le village est attaqué à la fois par le Sud-Ouest à partir du bois de Michelbach et par le Nord-Ouest à partir de la gare d'Aspach.

Au Sud-Ouest, les 2 colonnes d'attaque du 242e RI se heurtent à des défenses infranchissables dans les secteurs du Kahlberg et du bois de Michelbach. Des tirs meurtriers les contraignent à l'immobilité, et à la nuit tombée, elles reçoivent l'ordre de rentrer dans leurs cantonnements.

Au Nord-Ouest, c'est le 43e RIT qui est engagé en première ligne. Les assaillants doivent traverser un long glacis battu par le feu de l'ennemi tapi dans des abris fortifiés derrière des lignes de barbelés. Les fantassins avancent de bond en bond mais le feu ennemi les bloque dans les tranchées où ils passent toute la journée et la nuit suivante. Le 26 décembre à 5 Heures, ils reprennent l’assaut : les territoriaux de la section du lieutenant Cottenceau, secondé par les sergents Oberreiner et Keller, atteignent les abords de l’église d’Aspach-le-Bas, mais sont fauchés à 10 mètres par les mitrailleuses bavaroises postées dans le jardin de la cure. Cottenceau, Oberreiner, Keller ainsi que 3 caporaux et 22 soldats sont tués* et 9 blessés. 

*une dizaine de corps de soldats tués, recouverts de neige, sont restés accrochés aux barbelés pendant 2 mois avant d’être inhumés au cimetière de Michelbach. 

Au Sud-Ouest, le 26 décembre, le 242e RI renouvelle l'attaque à 12 H 30. Mais après une avancée de 250 mètres, ses troupes sont prises à partie par des tirs allemands d'écharpe et de revers et doivent se terrer. Des unités de renfort du 53e et du 113e RIT subissent le même sort. Ce n'est qu'après la tombée de la nuit qu'un peu de terrain peut être gagné, mais le village d'Aspach-le-Bas reste hors d'atteinte. Au cours des deux seules journées des 25 et 26 décembre, le 242e RI compte 62 tués et 110 blessés.

Leur sacrifice, tout comme celui des autres unités engagées, est vain : Aspach-le-Bas reste aux mains des Allemands, et ceci jusqu'à l'issue de la guerre  

 

Plaque commémorative sur la façade de l'église d'Aspach-le-Bas.     

 

 

Le front stabilisé.

A la fin de l’année 1914, dans le secteur de la basse-vallée de la Doller, le front est définitivement figé. Malgré une sanglante tentative française de percer le front à Burnhaupt-le-Haut les 7 et 8 janvier 1915, il ne bougera plus. Les Allemands restent sur la ligne Burnhaupt / Pont d’Aspach / Aspach-le-Bas et s’appuient sur le Kahlberg puissamment fortifié.

De nos jours, vue depuis la colline du Kahlberg (322 m) en direction du Nord-Est : à gauche Aspach le Bas, à droite, Schweighouse.

En 1914, c'était un important point stratégique du dispositif allemand car on y avait une vue dégagée vers Cernay au Nord et vers Burnhaupt au Sud.

Les Français sont fixés sur la gare de Burnhaupt, Michelbach, Aspach-le-Haut et gardent la position dominante du Signal de Roderen. Alors que Guewenheim et Sentheim, à portée des canons allemands, subissent les bombardements de l'artillerie ennemie, Masevaux est assez éloignée du front pour rester préservée de dommages humains et matériels significatifs. Masevaux et Niederbruck sont cependant touchés par des bombes jetées par des aviateurs allemands qui visent les usines de ces localités. 

Guewenheim bombardé : Joseph Kuenemann (1898-1989), le jeune appariteur de la commune pendant la guerre, estime à 6000 le nombre d'obus tombés sur le village, tuant 11 civils.   

 

Chronologie de la guerre :   - 2 novembre : la Serbie déclare la guerre à la Turquie qui a rejoint l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.

 - 6 novembre : la marine britannique commence le blocus de l'Allemagne.

 - 10 novembre : les Russes reculent devant l'offensive allemande sur Lodz.

 - 11 novembre : échec allemand face aux alliés autour d'Ypres et Dixmude.

 - 17 novembre : fin de la "course à la mer", fin de la guerre de mouvement à l'ouest et début de la guerre des tranchées sur 650 km entre la Mer du nord et la Suisse. 

 - 8 décembre : retour du gouvernement français à Paris.

 - 15 décembre : offensive française en Champagne.

Conclusion. 

 

Malgré une importante présence de l'armée française dans la vallée de Masevaux en 1914, ses opérations n'ont qu'un intérêt secondaire sur le plan militaire. En revanche, leur dimension politique est considérable. L'occupation de Masevaux (ainsi que celle de Thann), commencée dès le début du conflit et maintenue jusqu'à son terme, représente pour la France les prémices de la victoire et de la recouvrance de l'Alsace-Lorraine. Pour en témoigner, les chefs civils et militaires se succèdent à Masevaux entre 1914 et 1918. Raymond Poincaré, président de la République (5 visites), Georges Clemenceau, président du Conseil, les futurs maréchaux Joffre, Pétain et Foch, de nombreux généraux, ministres, hauts-fonctionnaires et écrivains ainsi qu'une pléiade de dignitaires alliés viennent y affirmer l'appartenance de l'Alsace à la France.    

Georges Clemenceau, le "Père de la victoire" en visite à Masevaux.
 

Henri Ehret, mai 2014. 

Page actualisée en août 2014, février 2016 et mars 2019.

Contacter l'auteur.

 

Sources :
Les JMO (Journaux des marches et opérations) du Groupement de Masevaux, du 43e et du 49e RIT, du 15e Dragons et du 242e RI.

Le site "chtimiste" consacré aux parcours de régiments en 1914-18.

Le site de Jean-Luc Dron consacré aux historiques de régiments en ligne. 

Le forum "PAGES 14-18" et notamment l'article de Arnaud Carobbi sur la destruction de l'observatoire du Sudel en août 1914.

La base de données Léonore sur les titulaires de la Légion d'Honneur :

Un artilleur en Haute-Alsace (1914-1916) de Thierry Ehret et Eric Mansuy. 

Les renseignements communiqués par M. Jean-Marc Zeller, arrière-petit-fils du commandant Borie.

Les précisions apportées par M. Paul Charles, petit-fils du soldat du 242e RI Joseph Paul Charles, né le 11/05/1884 à Bassigney (Haute-Saône), tué le 26/12/1914 à Aspach-le-Bas.

Wikipedia : questions générales et chronologiques.

La revue Patrimoine Doller, bulletin de la Société d'Histoire de la vallée de Masevaux et particulièrement les articles suivants :

Patrimoine Doller n°5 (année 1995) :

    -  Masevaux 1914-1918 : l'occupation française, de René Limacher. 

    -  Masevaux, ville symbole de l'Alsace reconquise, de René LImacher. 

    -  L'Alsace en 1914, de André Baumgartner. 

    -  Niederburbach/Bourbach-le-Bas 1914-1918, de André Baumgartner. 

    -  Le Landsturm, de Jean-Marie Ehret.

    -  Guewenheim, village d'Alsace sur la ligne de front, de Louis Uhlrich. 

Patrimoine Doller n°10 (année 2000) :

    -  L'aviation en Haute Alsace (août 1914-novembre 1918), de Henri Duchêne-Marullaz. 

Patrimoine Doller n°14 (année 2004) :

    -  Les carnets de route de Camille Braun, soldat au 43eRégiment d'infanterie territoriale (1914-1915), de Guy Rémy, avec le concours d'Éric Mansuy. 

    -  Noël 1914, la mort entre les deux Aspach, de Bernard Keller. 

    -  Au jour le jour, la grande guerre à Sentheim, de Martine Bissler.  

    -  Notes sur la grande guerre à Bourbach-le-Bas, de Jean Lauter.

Patrimoine Doller n°16 (année 2006) :

    -  Guewenheim dans la tourmente, de Pierre Kuenemann.  

Patrimoine Doller n°18 (année 2008) :

    -  Août 1914, les pantalons rouges sont là ! de André Ray.  

Les deux ouvrages de J.M. Ehret, M. et G. Redhaber, B.Sutter et D.Willmé :

    La vallée de Masevaux à l'orée du siècle.

    -  La vallée de Masevaux 1914-1918.   

Historique du 11e Régiment de chasseurs à cheval pendant la guerre de 1914-1918.  sur Gallica. 

Journal des Sœurs enseignantes d'Oberbruck.

Souvenirs de la Grande Guerre par François Fridolin Dieterich, brochure publiée par la commune d'Aspach-le-Bas, décembre 2014.

Indications sur le secteur du Kahlberg avec visite des lieux, par M. Armand Bucher d'Aspach-le-Bas.

La Grande Guerre dans la vallée de Masevaux, d'après le journal de guerre d'Isidore André.  de Daniel Willmé, publié par la Société d'Histoire de la Vallée de Masevaux, juin 2014.

Illustrations :
   -  Sauf indication particulière, les photos anciennes sont extraites de cartes postales (collection personnelle.)

   -  Les photos récentes sont de l'auteur.


Autre page d'histoire relative à la Première Guerre mondiale :

Louis Bassenne : un enfant du Pays de Clerval au service de la France. 


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