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En 1919 paraît le roman "Les nouveaux Oberlé" dont l'action est située à Masevaux. Son auteur : René Bazin, l'un des plus célèbres écrivains français de son temps.
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I. René Bazin (1853-1932). Pendant
un demi-siècle, René Bazin, romancier, journaliste,
historien, essayiste et auteur de récits de voyages, est une figure de
premier plan des lettres françaises. Contemporain de Paul Bourget,
Maurice Barrès, Romain Rolland, Paul Claudel,
Edmond Rostand, Paul Valéry et de tant d'autres noms de cet âge
d'or de la littérature, il est alors l'un des auteurs les plus lus de
sa génération.
L'œuvre
romanesque de René Bazin est sous-tendue par les deux principes suprêmes
de sa vie : une foi catholique intransigeante héritée de son milieu
social et un nationalisme ardent né de l'humiliante défaite de 1870. |
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En 1899, René Bazin visite l'Alsace, alors allemande, à l'invitation de Ferdinand de Dartein (1838-1912) et de Pierre Bucher (1869-1921), deux partisans de l'appartenance de l'Alsace à la France et défenseurs de la culture française en Alsace allemande. Le fruit de ce voyage est publié en 1901 : c'est le roman "Les Oberlé".
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II. "Les Oberlé". A. Résumé du roman... L'action du roman se déroule vers 1900 dans le village fictif d'Alsheim situé dans les Vosges alsaciennes, à l'ouest de Strasbourg. Les Oberlé sont une famille fortunée qui exploite une scierie industrielle et fait le commerce du bois. Quand Jean, le fils aîné, revient à Alsheim après ses études de droit à Berlin, il trouve sa famille déchirée par la politique. D'un côté, son père Joseph et sa sœur Lucienne s'accommodent de l'annexion à l'Allemagne. Le père par réalisme économique et ambition politique, la fille par conviction que le Reich allemand lui offrira un avenir brillant. De l'autre côté, sa mère Monique, son grand-père Philippe, ancien député protestataire, et son oncle Ulrich, combattant français en 1870, sont restés fidèles à leurs racines françaises et rejettent avec intransigeance l'esprit allemand. Le clivage entre les deux positions devient cornélien lorsque les projets amoureux de Jean et de Lucienne sont mis en question. Jean aime Odile, la fille du maire, qui l'aime en retour bien que les deux familles soient en froid à cause de la germanophilie de Joseph. Mais leur projet de mariage se brise définitivement lorsqu'on apprend que Lucienne s'est fiancée à Wilhelm, un lieutenant des hussards prussien. Ne se voyant plus d'avenir à Alsheim, et refusant de faire son service militaire dans l'armée allemande, Jean se résout à quitter clandestinement l'Alsace pour la France. Par là même, il ruine aussi le mariage de Lucienne car l'honneur de Wilhelm lui interdit d'épouser la sœur d'un déserteur. B. ...et son retentissement. Ce roman fait découvrir en France, mais aussi sur le plan international, le drame vécu par l'Alsace après 1870. Les Oberlé incarnent les tensions entre Alsaciens francophiles, Alsaciens germanophiles ou opportunistes et Allemands conquérants. Dans ces conflits de loyauté, René Bazin se place sans ambiguïté derrière les tenants de la patrie française. Pour lui, l'Alsace est globalement réfractaire à la présence allemande. Jean Oberlé, le héros du roman, personnifie cette Alsace qui préfère aux profits matériels allemands la richesse spirituelle française. "Les Oberlé" rencontrent un succès considérable. Le livre est tiré à 200 000 exemplaires et sera traduit en douze langues. René Bazin, devenu une icône du patriotisme, est élu membre de l'Académie française.
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III. La Première Guerre mondiale. Pour les nationalistes français, la guerre contre l'Allemagne qui éclate le 3 août 1914 sonne l'heure de la revanche tant attendue. La reconquête de l'Alsace-Lorraine est la priorité de la stratégie française. L'offensive principale est axée sur le nord-ouest des provinces perdues, en direction de Morhange et de Sarrebourg, tandis qu'une attaque secondaire au sud de l'Alsace vise Mulhouse et le Rhin. Mais après quelques succès initiaux début août 1914, la France perd cette bataille des frontières. Elle doit reculer en Alsace et transférer ses forces sur le front de la Marne pour s'opposer à l'avancée ennemie vers Paris. La reprise de l'Alsace-Lorraine n'est plus primordiale. Cependant, la France a pu conserver une minime portion de ses conquêtes d'août 1914 : il s'agit de la bordure ouest du Haut-Rhin le long de la frontière française. Ce territoire (en vert sur la carte ci-dessous), long d'une centaine de km et large d'une vingtaine de km comprend les villes de Thann, Masevaux et Dannemarie.
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IV. Masevaux, capitale de l'Alsace reconquise. A partir d'août 1914 et jusqu'à la fin de la guerre, Masevaux, la cité la plus sûre du territoire libéré, joue le rôle de capitale de l'Alsace reconquise et symbolise pour la France la victoire espérée. Pour en témoigner, les chefs civils et militaires se succèdent dans la petite ville tout au long du conflit ; parmi eux Raymond Poincaré, président de la République (six visites), Georges Clemenceau, président du Conseil, les futurs maréchaux Joffre, Pétain et Foch, de nombreux autres généraux, ministres et dignitaires alliés. Écrivains et artistes nationalistes ne sont pas en reste : après la reconquête militaire, il faut affirmer le retour intellectuel et culturel de la France. A partir de 1915, on voit à Masevaux des sommités comme Maurice Barrès, Edmond Rostand, Pierre Loti, Henry Bordeaux, Hansi, et bien sûr René Bazin.
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Si René Bazin ne semble pas avoir participé à la visite en groupe du 31 octobre 1915, sa présence à Masevaux est attestée à trois reprises : en 1915, 1917 et 1918. En 1917, l'écrivain confie à ses hôtes masopolitains son intention d'écrire un roman sur le thème des nouveaux Oberlé dont l'action se déroulera à Masevaux. Lors des séjours destinés à se documenter, René Bazin loge au presbytère et se fait introduire par le curé Dornstetter auprès des notabilités locales. Il est ainsi reçu pour des thés ou des dîners dans les familles de l'industriel Isidore André et de son fils Charles André. Il visite également la vallée de la Doller et Rougemont-le-Château où il rencontre l'industriel Erhard et le maire Winckler. L'écrivain recueille également des informations auprès de son ami Pierre Bucher qu'il rencontre en 1915 à Réchésy où Bucher dirige un centre de renseignement spécialisé dans le dépouillement de la presse allemande. En 1917, Masevaux reçoit aussi la visite de la nouvelliste et critique littéraire Élisabeth Sainte-Marie Perrin.
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L'action du roman, paru en 1919, se situe à Masevaux et débute lors des premiers jours d'août 1914, quand éclate la Première Guerre mondiale. Le cœur de l'intrigue, c'est le drame de Sophie Ehrsam, la veuve d'un riche industriel textile qui voit ses deux fils, associés à la direction de l'usine, prendre des chemins opposés. Lorsque l'Allemagne décrète la mobilisation, Pierre, l'aîné, choisit de traverser la frontière toute proche pour s'engager dans l'armée française. Joseph, le cadet, convaincu de la victoire de l'Allemagne, pense assurer l'avenir de l'affaire familiale en obéissant à l'ordre de mobilisation ; il rejoint son unité sur le front russe. Le 7 août 1914, le destin de Masevaux bascule : l'armée française occupe la ville et s'y maintient pendant toute la guerre. Pour Sophie Ehrsam, comblée en tant que patriote française, c'est pourtant un défi supplémentaire. Ses fils partis, qui va diriger la filature familiale ? et comment maintenir son activité alors qu'elle est coupée de ses approvisionnements et de ses débouchés ? Pierre Ehrsam, une fois la frontière franchie à Rougemont-le-Château, se présente à l'armée française qui le reçoit fraîchement et le renvoie d'une garnison à l'autre. Finalement, à Besançon, il est incorporé sous un nom d'emprunt au titre de la Légion Étrangère. Ces tribulations lui révèlent la France réelle dont les désordres et les faiblesses contrastent avec la France rêvée en Alsace annexée. L'Alsacien est envoyé sur le front. Blessé lors d'un combat, il est évacué en Provence, près d'Avignon. Dans l'hôpital où il est soigné, il se lie d'amitié avec des bénévoles qui se dévouent au service des blessés de guerre : le baron de Clairépée, brancardier, et sa fille Marie, infirmière. Une histoire d'amour naît entre les deux jeunes gens tandis que de longs échanges avec le baron montrent à Pierre en quoi la France, l'Alsace et l'Allemagne diffèrent au point de vue social, culturel, intellectuel et moral. Il prend conscience du caractère propre de l'Alsace dont la sensibilité ne doit se fondre ni dans la nation française, ni dans la nation allemande. Pendant ce temps, sur le front russe, en Lituanie, Joseph se rend compte que les soldats alsaciens, même officiers comme lui, sont sujets à la défiance de l'encadrement allemand. En 1915, il est transféré sur le front ouest, près de Reims. Là il est indigné par la destruction de la cathédrale par l'artillerie allemande. Pour lui c'est le révélateur de l'infériorité culturelle des Teutons dont il ne veut plus être le complice. Début décembre 1915, il déserte ; dans le feu de l'action, il tue son chef qui, soupçonnant son intention, le guettait pour l'abattre. Peu après son arrivée dans les lignes françaises, Joseph est autorisé à rejoindre Masevaux où il reprend sa place à la direction de l'usine. Mais il ne se sent plus à l'aise dans sa ville natale : dans le regard de ses concitoyens, il lit du mépris à son égard, lui qui mène une vie confortable alors que les autres hommes de son âge continuent de se battre et de mourir, tant "chez les Allemands qu'il a abandonnés que chez les Français qu'il n'ira pas rejoindre". Le récit se clôt en janvier 1916. Sophie Ehrsam profite de la venue en permission de son fils Pierre pour inviter à Masevaux Marie de Clairépée. Elle espère que la découverte de l'Alsace, de Masevaux, de la famille Ehrsam, convaincra la jeune Provençale d'accepter d'épouser Pierre. De son côté, Joseph décide de s'engager dans l'armée française ; auparavant il fait des démarches pour que le ministère de la guerre libère Pierre qui pourra ainsi faire marcher l'usine. Le roman se termine par un double pèlerinage de la famille Ehrsam et de leur invitée : religieux auprès de la Vierge de Houppach, et patriotique vers un promontoire du Buchberg. Là, les héros rejoignent un poste d'observation français d'où la vue s'étend sur la plaine, les tranchées du front et la ville de Mulhouse toujours aux mains des Allemands. En contemplant cette terre promise, Sophie Ehrsam consent à endurer encore de longues années de guerre ; elle est cependant confortée de savoir que Pierre et Joseph sont à présent à l'unisson dans leurs convictions et dans l'accomplissement de leur devoir. "Que
mes fils partent donc, et que la France nous revienne", dit-elle. |
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L'intrigue des "Nouveaux Oberlé" est adaptée à la situation spécifique de la trentaine de communes alsaciennes devenues françaises dès août 1914. Pour cette raison, René Bazin situe l'action dans une ville réelle, alors que pour les Oberlé il avait imaginé le village fictif d'Alsheim dans lequel toute localité alsacienne pouvait se reconnaître. René
Bazin reconstitue le cadre masopolitain avec précision. Il décrit le
site de la ville : "...les montagnes faisant la ronde autour de
Masevaux, boisées depuis leurs cimes jusqu'aux prairies et jusqu'aux
vergers en pente...", nomme les montagnes (Sudel, Baerenkopf,
Buchberg) et énumère les villages de la vallée. La Doller est maintes
fois mentionnée et même le modeste ruisseau de l'Odilienbaechle a
droit de cité. Le plan du bourg s'articule essentiellement autour de la
Grand'Rue, la place des Blés, la rue de la Mairie, la place du Marché
avec ses tilleuls plantés en quinconce, la Porte Saint-Martin, le
cimetière et la rue de Rougemont bordée de platanes. Les rues
secondaires comme la rue de l'Hôpital, la rue des Gants, la rue des
Tisserands, la rue du Chariot et même la minuscule ruelle du Lièvre
apparaissent aussi dans le roman. L'église Saint-Martin avec son
perron en grès, l'Hôtel de l'Aigle d'Or, les maisons des chanoinesses
de la Cour du Chapitre, la chapelle de Houppach sont situés avec
exactitude tout comme l'Auberge de l'Ange, au coin de la rue de la
Mairie et de la rue de la Porte Neuve. Si le Ringelstein n'est pas
présenté sous son nom, il est cependant mentionné comme le "rocher du petit
duc Maso". |
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L'auteur est tout aussi précis dans sa relation des évènements militaires survenus à Masevaux : non seulement l'arrivée spectaculaire de l'armée française le 7 août 1914, mais aussi des faits localisés qui l'ont précédée : l'incursion d'éclaireurs français le 4 août, l'escarmouche sanglante du 5 août qui tue 5 Allemands à Lauw, la destruction du pylône du Sudel le 6 août. Sur ce Masevaux authentique, René Bazin greffe deux entités fictives, l'usine Ehrsam et la ferme du Baerenhof. L'auteur situe la filature Ehrsam à l'extérieur de la Porte Saint-Martin et à droite de la route de Rougemont bien que, dans la réalité, le relief de ces lieux ne permette pas l'implantation de bâtiments industriels. L'entreprise textile fictive semble inspirée des Établissements Napoléon Koechlin d'alors : une vaste enceinte où l'on entre par une porterie et où se succèdent les ateliers de la fabrique, les hangars, les bureaux et la maison de maître des propriétaires. La ferme de la famille Reinhardt, le Baerenhof, est placée par Bazin sur le plateau dominant Masevaux au sud ; en 1914, c'était effectivement un vaste territoire agricole mais sans corps de ferme. Au total, malgré ces deux éléments fictifs, l'habitant de Masevaux de 1919 se reconnaît à chaque page dans le cadre géographique et urbain recréé par l'écrivain. Il en est de même du lecteur d'aujourd'hui pour peu qu'il intègre les changements de quelques noms de rues et de places.
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Si, dans son roman, René Bazin s'est attaché à recréer fidèlement la ville de Masevaux, il n'en est pas de même de sa population. L'auteur ne transpose pas dans son récit la réalité politique, sociale et culturelle de la vallée vosgienne. Il n'y met pas en scène les personnalités locales qu'il a rencontrées et interrogées. Seuls les deux plus gros industriels de la cité sont nommés : Isidore André, patron de l'entreprise textile du même nom, et Auguste Lauth, directeur de Napoléon Koechlin et Cie. René Bazin concentre son analyse sur la seule famille Ehrsam comme si celle-ci était représentative des Alsaciens de la vallée, alors qu'elle est l'exception tant sur le plan de la fortune que sur celui du niveau culturel.
Par ce choix, l'auteur ignore délibérément la réalité humaine d'une population qui est loin d'être aussi nostalgique de la France que les Ehrsam. En effet, en 1914, seules les personnes de plus de soixante ans peuvent avoir quelques souvenirs de la période française. La large majorité des habitants, germanophones de naissance, est passée par l'école allemande devenue obligatoire dix ans avant les lois françaises de Jules Ferry. Leur imprégnation germanique s'est poursuivie par le service militaire en Allemagne : dans nombre de familles trônent des souvenirs rapportés du régiment : la photo du fier soldat avec sabre et casque à pointe ou bien la chope à bière à couvercle. Dans les classes populaires, la langue française, et avec elle les bribes de la culture française, a disparu ; elle ne subsiste que dans de rares familles de la bourgeoisie d'affaires. René Bazin fait également l'impasse sur les facteurs économiques qui ont facilité l'adhésion des Alsaciens à l'Empire allemand. Depuis 1871, l'Alsace a connu croissance, modernisation et prospérité. Dans la vallée de la Doller, chacun sait que c'est sous Guillaume II qu'a été construit le barrage du Lac d'Alfeld et que le chemin de fer est arrivé jusqu'à Masevaux d'abord, puis jusqu'à Sewen.
Cet essor a été accompagné par le progrès social : les lois bismarckiennes de 1883/1884 jettent les bases de la sécurité sociale (assurance maladie, assurance accidents du travail, assurance invalidité-vieillesse) dont il n'existe alors aucun équivalent en France. En même temps, les rudes conditions de travail du prolétariat s'allègent un peu : progrès de l'hygiène dans les usines, meilleure protection des femmes et des enfants, journée de travail limitée à 11 heures pour les ouvriers du coton en 1890. René Bazin si sensible à la préservation de la civilisation française chez l'élite alsacienne ne relève pas la vitalité de la vie culturelle locale qui se traduit par les nombreuses sociétés de musique, les chorales et les troupes de théâtre dialectal. Son manichéisme l'empêche de reconnaître que, sous l'annexion, nombre d'Alsaciens sont arrivés au faîte du monde scientifique ou artistique. Albert Schweitzer, par exemple, né en 1875, s'épanouit dans la culture allemande. Il étudie à Strasbourg et à Berlin où il côtoie des penseurs comme Adolf von Harnack, Friedrich Paulsen ou Georg Simmel. En même temps, guidé par une vision universaliste des civilisations, il est ouvert à la culture française puisqu'il passe un semestre d'études à Paris.
Dans ses romans, René Bazin exprime une vision sectaire des Allemands ; ceux-ci, pour lui, se résument à des officiers pleins de morgue, des fonctionnaires arrogants et des hommes d'affaires suffisants. Il ignore ceux qui, outre-Rhin, auraient pu être ses pairs alors que d'autres écrivains français de sa génération comme Romain Rolland ou Émile Verhaeren ont une proximité intellectuelle et personnelle avec Zweig, Schnitzler, Freud ou Strauss. Dans les "Nouveaux Oberlé", la reconquête de la vallée de la Doller par l'armée française en août 1914 déclenche l'enthousiasme des héros francophiles du roman. Force est de rappeler que, dans la réalité, la population locale doit affronter de graves difficultés que René Bazin passe sous silence. Pour les habitants de la vallée, les épreuves sont matérielles et morales. Le front coupe brutalement l'approvisionnement en denrées alimentaires, matières premières et charbon. L'armée française réquisitionne durement le bétail des petits paysans. Deux mois après l'arrivée des Français, la situation alimentaire est si précaire que la ville de Masevaux distribue chaque jour 450 Kg de pain, ce qui fait à peine 160 g par personne de plus de deux ans. Pour ranimer le commerce paralysé par le manque de monnaie, la ville émet des bons de 1 mark et de 50 pfennigs pour une valeur de 6000 marks. La méconnaissance du français crée un fossé entre les habitants et les occupants français. Dès la rentrée des classes de 1914, les écoliers ont devant eux un maître en uniforme qui leur parle dans une langue inconnue. Les rapports entre la population et les nouvelles autorités sont rarement au beau fixe. Pierre Bucher lui-même déplore en février 1915 qu'il doive défendre "nos malheureux compatriotes [les Alsaciens] contre l'incompréhension et les mépris souvent invraisemblables des chefs français." L'armée française arrête et déporte les supposés germanophiles ainsi que des otages pris en particulier dans le corps des instituteurs. En septembre 1914, les Français évacuent manu militari les hommes qui relèvent du Landsturm. Traités en prisonniers de guerre, ils sont envoyés dans le sud de la France. La vallée est vidée de ses forces vives : les hommes de 20 à 38 ans sont dans l'armée allemande, ceux de 17 à 20 ans et de 39 à 45 ans sont dans des camps français. Les femmes, enfants et vieillards peinent à assurer la survie des familles qui en raison de la coupure du front, ne reçoivent plus de nouvelles de leurs proches mobilisés dans l'armée allemande. Et ceux-ci ne peuvent ni venir en permission dans leurs foyers ni être rapatriés en cas de blessure. Un article du journal parisien "Le Temps" du 15 décembre 1914 reconnaît la situation désastreuse dans la vallée de la Doller reconquise. Un extrait de cet article en cliquant ici.
Finalement,
il s'avère que "Les nouveaux Oberlé", ne représentent pas
l'Alsace réelle de 1914, mais l'Alsace rêvée à Paris dans
l'imaginaire des nationalistes. C'est l'Alsace folklorique des dessins
de Hansi qui installent une vision idéalisée de la province, inséparable
du giron français. L'annexion de 1871 a été ressentie comme une
mutilation et l'opinion française ne s'y est pas résignée. Sur les
cartes des manuels scolaires, l'Alsace-Lorraine reste intégrée dans les
frontières nationales sous la forme d'une tache noire. Partout en France, le mythe
des provinces perdues est présent dans la littérature, les chansons et
les dénominations des rues. Tout comme Bazin, Hugo, Renan, Barrès,
Daudet militent pour une Alsace éternellement tricolore. Alors,
au-delà de la ligne bleue des Vosges, la France aime imaginer les
Alsaciens en ardents francophiles dans l'attente du retour de la France
; ce sont ces Alsaciens que Bazin incarne dans la famille Ehrsam. |
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En 1914, quarante ans de nationalisme et de nostalgie ont créé dans l'imaginaire français une vision irréelle et romantique de l'Alsace. Édouard Herriot, né en 1872, disait : "Dans ma jeunesse, quand on parlait dans ma famille des provinces perdues, on pleurait." Bazin cultive cette fibre sentimentale dans "Les nouveaux Oberlé", comme dans cette scène de communion patriotique où le père de Jean et Joseph Ehrsam emmène ses fils de dix et huit ans au col de Bussang pour leur faire voir la source de la Moselle. Là il leur dit : "Enlevez vos casquettes, mes petits, et buvez l'eau de la rivière de France." |
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Lors de leur parution, les deux "romans d'Alsace" de René Bazin ont connu un grand succès. Un siècle plus tard, ils sont tombés dans l'oubli. L'auteur lui-même, encore auréolé de gloire au moment de son décès en 1932, a pratiquement disparu de la mémoire collective. La désaffection des lecteurs pour ces deux romans s'explique par les profonds changements géopolitiques survenus après 1918 puis à partir des années 1950. Après la victoire de 1918, le nationalisme revanchard des décennies précédentes n'a plus raison d'être. Le nouveau contexte fait tomber les romans patriotiques de Bazin en désuétude. Désormais la France est confrontée à l'Alsace réelle. A la francophilie idyllique prêtée aux Alsaciens avant 1914 succède la réalité de leur particularisme et de leurs tentations autonomistes pendant l'entre-deux guerres. Lors de la Seconde Guerre mondiale et la nouvelle annexion entre 1940 et 1944, l'horreur de la tyrannie nazie repousse la période 1871-1918 à l'arrière-plan. Les vieux griefs contre le régime du Reichsland, autoritaire mais non despotique, s'estompent. A partir des années 1950, la réconciliation franco-allemande rend l'antigermanisme anachronique tandis que l'union européenne tempère les excès de patriotisme. La littérature nationaliste de la fin du XIXe siècle est irrémédiablement surannée. Aujourd'hui, les deux "romans d'Alsace" de René Bazin restent un précieux témoignage sur les mentalités avant la Première Guerre mondiale. Et pour l'habitant de Masevaux, "Les nouveaux Oberlé" constituent un insolite mais plaisant voyage dans la petite ville d'il y a un siècle. Enfin,
et c'est une valeur qui ne se déprécie pas, René Bazin offre aux lecteurs d'aujourd'hui
comme à ceux d'hier la magie de son style. Sa prose classique séduit
par sa clarté et sa précision et nous rappelle la prédiction
de Paul Claudel qui écrivait en 1930 : "Un jour ou l’autre...
l’on dira que René Bazin a été un des plus grands artistes de la
prose française qui aient existé." *
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Sources : "Les Oberlé" et "Les nouveaux Oberlé" de René Bazin. "La Grande Guerre dans la vallée de Masevaux", d'après le journal de guerre d'Isidore André, par Daniel Willmé. "Un instituteur alsacien. Entre la France et l'Allemagne, journal 1914-1951" par Philippe Husser. "Erinnerungen aus meiner Kriegsgefangenschaft" par Alphonse Lévêque. ["Souvenirs de ma captivité de guerre" : dénoncé comme germanophile, l'instituteur Alphonse Lévêque originaire de Bourbach-le-Bas, a été déporté dans le midi de la France.] "Pierre Bucher, 1869-1921, études, souvenirs, témoignages." Sites internet : Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil https://astrolabe.msh.uca.fr/septembre-octobre-2011/dossier/rene-bazin https://siterenebazin.wordpress.com/les-oeuvres/etudes/les-nouveaux-oberle-1919/ (article de Jacques Richou) https://www.gregoiredetours.fr/xxe-siecle/grande-guerre/rene-bazin-les-nouveaux-oberle/ (critique d'Octave.) site Les amis de la Leonardsau : "Pierre Bucher", article de Gisèle Loth. site Canopé de l'Académie de Strasbourg, article "Le discours parisien décalé par rapport à la réalité" par Mireille Biret et Monique Klipfel.
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Masevaux au cœur de l'Histoire. Les opérations militaires dans le secteur de Masevaux en 1914. Un médecin-major de l'armée française à Oberbruck en 1914. et des photos de Masevaux autrefois sont ici : |
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