Histoire locale d'Oberbruck.

 

Quand Oberbruck était éclairé au gaz.


Les débuts de l'éclairage industrialisé.

Aujourd'hui, nous avons oublié que, jusqu'aux premières années du XXe siècle, dès la nuit tombée, les rues de nos villages étaient plongées dans l'obscurité. Les habitants s'enfermaient chez eux et, si une urgence les appelait au-dehors, ils n'avaient pour s'éclairer que la faible lueur de leur lanterne. Pendant des millénaires, l'homme ne connaissait, pour affronter les ténèbres, que la combustion de matières d'origine végétale ou animale : la résine, l'huile, la cire, le suif.

A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, est apparu le premier éclairage utilisant un combustible fossile : le pétrole lampant
obtenu par la distillation du pétrole brut. Plus fluide et plus éclairant que l'huile, le pétrole a permis de créer des luminaires améliorés pour la maison et des lampes-tempêtes plus sûres pour l'extérieur.

A la même époque, nos aïeux d'Oberbruck ont eu le privilège de profiter d'un éclairage public novateur. En effet, le développement de l'industrie textile, implantée à Oberbruck par Joseph Zeller en 1822, a introduit dans notre localité reculée quelques innovations techniques avancées pour leur temps. Parmi elles, des systèmes d'éclairage de caractère industriel.

C'est l'emploi du gaz manufacturé qui a inauguré l'ère de l'éclairage à grande échelle. Son principe a été découvert à la fin du XVIIIe siècle, mais ce n'est qu'après 1820 que les premières lanternes à gaz sont apparues dans les villes. A Paris, les quatre premières lanternes à gaz ont été allumées le 1er janvier 1829 ; au milieu des années 1840, la moitié de la ville était déjà éclairée au gaz et, à la Belle Époque, la capitale comptait 50 000 becs de gaz.

Pour les industriels du textile d'Oberbruck, la finalité première était d'éclairer les ateliers des usines pour allonger, surtout en hiver, la durée du travail quotidien. L'éclairage des rues et de quelques maisons privées a été un bénéfice secondaire.


Que savons-nous de la production et de l'utilisation du gaz à Oberbruck ?

Une source autorisée, mais peu développée, est le carnet de Gaspard Zeller, rédigé entre 1878 à 1886.


Sur Gaspard Zeller et son document manuscrit, voir la page :

Vision de l'avenir d'Oberbruck par Gaspard Zeller (1820-1887)
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Dans ce carnet, Gaspard Zeller, lui-même chimiste de formation, écrivait :

"L’usine à gaz actuelle qui laisse beaucoup à désirer en ce moment par son gaz bien trop fumeux, devra être modifiée dans un temps peu éloigné, soit qu’elle devienne insuffisante, soit qu’elle doive être transformée en usine électrique. Il y a 5 ans au moins que j’ai dit à César Weiss* que le gaz avait un vice essentiel dans son organisation.... je suis d’avis d’établir cette usine dans le pré... à proximité de nos établissements de la Renardière."

* César Weiss (1846-1917), directeur de la filature, successeur de Charles Zeller dans la fonction de gérant des Ets Zeller de 1906 à 1917, maire d'Oberbruck élu en 1909. 

Ce passage confirme l'existence à Oberbruck d'une usine à gaz, c'est-à-dire de l'installation complexe permettant de produire du gaz par la distillation de la houille. Par prudence, elle était située à la Renardière, épargnant ainsi au cœur du village et à la filature les nuisances dues aux suies et aux fumées et éloignant les risques en cas d'explosion ou d'incendie.

En 1878, Gaspard Zeller parle de l'usine à gaz comme d'un équipement vieilli qu'il faut rénover ou rebâtir à neuf. On peut donc estimer que cette usine remontait à une ou deux décennies, ce qui situerait l'introduction du gaz à Oberbruck dans les années 1860. Cette date correspond à la teneur d'un acte notarié de 1994 exposant l'historique de la SCI "La Renardière." On y lit :

"On y [à la Renardière] fabriquait également dans les années 1860 le gaz qui alimentait les becs de gaz du village. Le gaz était obtenu dans des fours spéciaux où l'on distillait la houille de Boghead."

La houille de Boghead était une variété de houille recherchée pour la fabrication du gaz. Elle tirait son nom de la localité d'Écosse où elle avait été découverte. Les usines Zeller importaient-elles de la houille depuis l'Écosse ? C'est peu probable vu le grand éloignement et l'absence de chemin de fer dans la vallée de la Doller. Il est plus plausible que le terme employé dans le document indique, non la provenance, mais la qualité de la houille. Vraisemblablement, le charbon pour l'usine à gaz était-il acheté, comme celui destiné à la machine à vapeur, aux mines de Ronchamp, en Haute-Saône. Cet approvisionnement à partir du lieu de production, pourtant situé à moins de 50 km d'Oberbruck, n'était pas une mince affaire puisqu'il fallait quatre jours à un chariot attelé de bœufs ou de chevaux pour faire l'aller-retour.

Le gaz obtenu par la distillation était emmagasiné dans un réservoir appelé gazomètre. Un système de cloche mobile, positionnée sur une cuve remplie d'eau, permettait de réguler la pression selon les apports de la production et les besoins des utilisateurs. Une conduite principale de fort diamètre en fonte ou en tôle bitumée, enterrée sous la chaussée, amenait le gaz sur les lieux de consommation. Là, des tuyaux de plus faibles diamètres en plomb ou en cuivre alimentaient les becs de gaz qu'un préposé allumait au crépuscule et éteignait au lever du jour.


Du gaz à l'électricité.

En 1878, Gaspard Zeller avait déjà l'intuition que le gaz serait probablement détrôné par l'électricité comme source d'énergie pour l'éclairage. Mais comme il ne pouvait, à cette date, connaître la lampe à incandescence (brevetée par Edison en 1879), sa prospective restait essentiellement théorique.

C'est au tout début du XXe siècle que l'électricité s'est imposée définitivement à Oberbruck comme moyen d'éclairage en remplacement du gaz. En 1905, les Établissements Zeller ont investi dans une turbine de 320 chevaux alimentée par une conduite forcée longue de 850 mètres, avec une chute d'eau de 60 mètres. Cette turbine actionnait une dynamo qui fournissait le courant électrique pour les besoins industriels. Les ateliers étaient désormais éclairés par des lampes à incandescence. La production de courant était suffisante pour raccorder également au réseau électrique de la société des lampadaires pour l'éclairage de quelques lieux publics et de certains bâtiments proches de l'usine. Ainsi a-t-on pu lire dans le journal "L'Express" du 3 janvier 1907 cet entrefilet :


"Oberbruck, 3 janvier. Les héritiers de feu M. Victor Zeller ont fait don à l'église paroissiale de deux vitraux peints. La maison Zeller va faire installer aussi à l'église la lumière électrique et lui fournira gratuitement le courant."

L'école et les maisons d'habitation des industriels et des cadres de la société ont également bénéficié de la lumière électrique alors que le reste du village ne l'a obtenue que lors de la réalisation du réseau public en 1926.


Sur la conduite forcée et la turbine, descriptif et photos en cliquant ici.

 


Vestiges de l'éclairage au gaz en photos.

Plusieurs becs de gaz datant du XIXe siècle sont restés en place bien après l'arrêt de la production locale de gaz : ils sont visibles sur les photos ci-dessous où ils sont encerclés de rouge. Deux d'entre eux existent encore aujourd'hui, témoins d'une époque révolue.

Au début du XXe siècle, le bec de gaz sur l'angle de la maison, rue de la Renardière, où a habité Gaspard Zeller (1820-1887) puis ses descendants Febvrel et Monnot. [Aujourd'hui, maison Lehmann] (Origine de la photo : site de Gilles Febvrel.)

 

Sur cette photo prise pendant la Première Guerre mondiale, on aperçoit le bec de gaz installé sur le côté du magasin Nelles [plus tard boulangerie-épicerie Raymond Scheubel] d'où il éclairait le parvis de l'église, le pont et l'entrée des rues adjacentes. (Origine de la photo : Gallica)

Ce bec de gaz était fixé à l'angle de la maison où a habité Joseph Zeller (1788-1859) dans la première moitié du XIXe siècle, puis sa fille Eugénie (1817-1898), épouse Thaller. [Aujourd'hui, maison Rusterholtz] Le luminaire éclairait aussi l'entrée de la propriété d'Édouard Zeller dont on devine le portail d'accès en bas à gauche du cercle rouge. (Origine de la photo : carte postale)

La gare d'Oberbruck [Aujourd'hui, club-house de l'USOD] mise en service en 1901 avait aussi son bec de gaz. (Origine de la photo : carte postale)

A l'angle de la rue principale et de la rue de Rimbach, ce bec de gaz éclairait les abords de la maison communément appelée "le casino" parce qu'elle a abrité un cercle de jeu et un billard. Auparavant, cette demeure avait été l'auberge de Martin Steger (1766-1845), maire d'Oberbruck, dont les deux filles ont épousé les industriels Joseph et Ferréol Zeller. Par la suite, elle a été le domicile de Ferréol Zeller (1789-1841), puis de différents responsables de la société Zeller-Frères. [Aujourd'hui, maison Verazzi] (Origine de la photo : famille Gebel) 

 

Ce réverbère se dressait dans le parc de la grande maison Zeller (dite "le château") à l'entrée de la rue de Rimbach. Construite entre 1783 et 1789 par le duc de Broglie, alors propriétaire des forges d'Oberbruck, elle a été achetée par Joseph Zeller en 1855. Après sa mort, elle a été occupée par deux de ses fils, Victor et Charles. Plusieurs générations de descendants de Victor Zeller y ont habité jusqu'à nos jours. (Mise à disposition de la photo : M. Louis Zeller)

 

 

 

Ces deux réverbères sont situés dans le parc de la maison construite vers 1850 par un autre fils de Joseph Zeller : Édouard (1818-1883).

Sa descendance y a vécu jusqu'en 1935, puis pendant près d'un siècle, elle a été la possession de la famille Gebel qui a donné deux maires à Oberbruck.

Rachetée en 2023 par des descendants de Joseph Zeller, elle est ainsi revenue dans le giron familial de son origine.

Ces lampadaires, reconvertis à l'électricité, continuent aujourd'hui à éclairer le jardin de la résidence.

(Photos et renseignements fournis par M. Louis Zeller)


Dans cette ébauche d'étude sur le gaz à Oberbruck subsistent plusieurs zones d'ombre : dates précises de son introduction et de son abandon, localisation exacte de l'usine à gaz, plan du réseau des conduites, précisions sur d'autres utilisations que l'éclairage...

Lecteurs, si vous avez des informations ou des documents sur ces questions, merci de m'en faire part !

Henri Ehret, janvier 2024.

Contacter l'auteur.

Sources :

En plus des sources indiquées directement dans le texte :

Pour l'historique de l'éclairage et les techniques de production du gaz manufacturé :

- Wikipedia

- les sites :

              https://ehne.fr/fr

              https://charcot.etab.ac-lyon.fr/spip/IMG/pdf/histoire_eclairage.pdf

              https://sciences.gloubik.info/spip.php?article264

Pour la production d'électricité par les usines Zeller d'Oberbruck :

- Revue "Patrimoine Doller" n°26 de 2016 : article "La maîtrise des énergies dans les usines Zeller de la haute vallée de la Doller entre 1850 et 1950" par Christophe Weinzaepflen.

 

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