Que savons-nous de la production
et de l'utilisation du gaz à Oberbruck ?
Une source autorisée, mais peu développée, est le carnet de
Gaspard Zeller, rédigé entre
1878 à 1886.
Dans ce carnet, Gaspard Zeller, lui-même
chimiste de formation, écrivait :
"L’usine
à gaz actuelle qui laisse beaucoup à désirer en ce moment par son gaz
bien trop fumeux, devra être modifiée dans un temps peu éloigné, soit
qu’elle devienne insuffisante, soit qu’elle doive être transformée
en usine électrique. Il y a 5 ans au moins que j’ai dit à César Weiss*
que le gaz avait un vice essentiel dans son organisation.... je suis d’avis
d’établir cette usine dans le pré... à proximité de nos
établissements de la Renardière."
* César
Weiss (1846-1917), directeur de la filature, successeur de Charles Zeller
dans la fonction de gérant des Ets Zeller de 1906 à 1917, maire d'Oberbruck
élu en 1909.
Ce passage confirme l'existence à Oberbruck d'une usine à gaz,
c'est-à-dire de l'installation complexe permettant de produire du gaz par
la distillation de la houille. Par prudence, elle était située à la
Renardière, épargnant ainsi au cœur du village et à la filature les
nuisances dues aux suies et aux fumées et éloignant les risques en cas
d'explosion ou d'incendie.
En 1878, Gaspard Zeller parle de l'usine à gaz comme d'un équipement
vieilli qu'il faut rénover ou
rebâtir à neuf. On peut donc estimer que cette usine remontait à une ou
deux décennies, ce qui situerait l'introduction du gaz à Oberbruck dans
les années 1860. Cette date correspond à la teneur d'un acte notarié de
1994 exposant l'historique de la SCI "La Renardière." On y lit
:
"On y [à
la Renardière] fabriquait également
dans les années 1860 le gaz qui alimentait les becs de gaz du village. Le
gaz était obtenu dans des fours spéciaux où l'on distillait la houille
de Boghead."
La
houille de Boghead était une variété de houille recherchée
pour la fabrication du gaz. Elle tirait son nom de la localité d'Écosse
où elle avait été découverte. Les usines Zeller importaient-elles de
la houille depuis l'Écosse ? C'est peu probable vu le grand éloignement
et l'absence de chemin de fer dans la vallée de la Doller. Il est plus
plausible que le terme employé dans le document indique, non la
provenance, mais la qualité de la houille. Vraisemblablement, le charbon
pour l'usine à gaz était-il acheté, comme celui destiné à la machine
à vapeur, aux mines de Ronchamp, en Haute-Saône. Cet approvisionnement
à partir du lieu de production, pourtant situé à moins de 50 km
d'Oberbruck, n'était pas une mince affaire puisqu'il fallait quatre jours
à un chariot attelé de bœufs ou de chevaux pour faire l'aller-retour.
Le gaz obtenu par la distillation était emmagasiné dans un
réservoir appelé gazomètre. Un système de cloche mobile, positionnée
sur une cuve remplie d'eau, permettait de réguler la pression selon les
apports de la production et les besoins des utilisateurs. Une conduite
principale de fort diamètre en fonte ou en tôle bitumée, enterrée sous
la chaussée, amenait le gaz sur les lieux de consommation. Là, des
tuyaux de plus faibles diamètres en plomb ou en cuivre alimentaient les
becs de gaz qu'un préposé allumait au crépuscule et éteignait au lever
du jour.
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Du gaz à
l'électricité.
En 1878, Gaspard Zeller avait déjà l'intuition que le gaz serait
probablement détrôné par l'électricité comme source d'énergie pour
l'éclairage. Mais comme il ne pouvait, à cette date, connaître la lampe
à incandescence (brevetée par Edison en 1879), sa prospective restait
essentiellement théorique.
C'est au tout début du XXe siècle que l'électricité s'est imposée définitivement
à Oberbruck comme moyen d'éclairage en remplacement du gaz. En 1905, les
Établissements Zeller ont investi dans une turbine de 320 chevaux alimentée
par une conduite forcée longue de 850 mètres, avec une chute d'eau de 60
mètres. Cette turbine actionnait une dynamo qui fournissait le courant électrique
pour les besoins industriels. Les ateliers étaient désormais éclairés
par des lampes à incandescence. La production de courant était
suffisante pour raccorder également au réseau électrique de la société
des lampadaires pour l'éclairage de quelques lieux publics et de certains bâtiments
proches de l'usine. Ainsi a-t-on pu lire dans le journal "L'Express"
du 3 janvier 1907 cet entrefilet :
"Oberbruck, 3
janvier. Les héritiers de feu M. Victor Zeller ont fait don à l'église
paroissiale de deux vitraux peints. La maison Zeller va faire installer
aussi à l'église la lumière électrique et lui fournira gratuitement le
courant."
L'école et les maisons d'habitation des
industriels et des cadres de la société ont également bénéficié de
la lumière électrique alors que le reste du village ne l'a obtenue que
lors de la réalisation du réseau public en 1926.
Sur la conduite forcée et la turbine, descriptif et photos en cliquant
ici.
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Vestiges de l'éclairage au gaz en photos.
Plusieurs becs de gaz datant du XIXe siècle sont restés en place
bien après l'arrêt de la production locale de gaz : ils sont visibles
sur les photos ci-dessous où ils sont encerclés
de rouge. Deux d'entre eux existent encore aujourd'hui, témoins d'une époque révolue.
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Au début du XXe
siècle, le bec de
gaz sur l'angle de la maison, rue de la Renardière, où a habité Gaspard Zeller
(1820-1887) puis ses descendants Febvrel et Monnot. [Aujourd'hui,
maison Lehmann]
(Origine
de la photo : site de Gilles Febvrel.)
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Sur
cette photo prise pendant la
Première Guerre mondiale, on aperçoit le bec de gaz installé
sur le côté du magasin Nelles [plus tard
boulangerie-épicerie Raymond Scheubel] d'où il éclairait le parvis
de l'église, le pont et l'entrée des rues adjacentes.
(Origine
de la photo : Gallica)
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Ce
bec de gaz était fixé à l'angle de la maison où a habité
Joseph Zeller (1788-1859) dans la première moitié du XIXe siècle, puis sa
fille Eugénie (1817-1898), épouse Thaller. [Aujourd'hui,
maison Rusterholtz]
Le luminaire éclairait aussi
l'entrée de la propriété d'Édouard Zeller dont on devine le portail
d'accès en bas à gauche du cercle rouge. (Origine
de la photo : carte postale) |
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La
gare d'Oberbruck [Aujourd'hui,
club-house de l'USOD] mise en service en 1901 avait aussi son bec de gaz. (Origine
de la photo : carte postale) |
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A l'angle de la rue principale et
de la rue de Rimbach,
ce bec de gaz éclairait les abords de la maison communément appelée
"le
casino" parce qu'elle a abrité un cercle de jeu et un
billard. Auparavant, cette demeure avait été l'auberge
de Martin Steger (1766-1845), maire d'Oberbruck, dont les deux filles ont épousé
les industriels Joseph et Ferréol Zeller. Par la suite, elle a été
le domicile de Ferréol Zeller (1789-1841), puis de différents
responsables de la société Zeller-Frères. [Aujourd'hui,
maison Verazzi]
(Origine
de la photo : famille Gebel)
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Ce réverbère se
dressait dans le parc de la grande maison Zeller (dite
"le château") à l'entrée de la rue de Rimbach.
Construite entre 1783 et 1789 par le duc de Broglie, alors
propriétaire des forges d'Oberbruck, elle a été achetée par Joseph Zeller en 1855.
Après sa mort, elle a été occupée par deux de ses fils, Victor
et Charles. Plusieurs générations de descendants de Victor
Zeller y ont habité jusqu'à nos jours.
(Mise à disposition de la photo : M. Louis Zeller)
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Ces
deux réverbères sont situés dans le parc de la maison
construite vers 1850 par un autre fils de Joseph Zeller : Édouard
(1818-1883).
Sa
descendance y a vécu jusqu'en 1935, puis pendant près d'un
siècle, elle a été la possession de la famille Gebel qui a
donné deux maires à Oberbruck.
Rachetée
en 2023 par des descendants de Joseph Zeller, elle est ainsi
revenue dans le giron familial de son origine.
Ces
lampadaires, reconvertis à l'électricité, continuent aujourd'hui
à éclairer le jardin de la résidence.
(Photos et
renseignements fournis par M. Louis Zeller) |
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Dans cette ébauche d'étude sur le gaz à Oberbruck
subsistent plusieurs zones d'ombre
: dates
précises de son introduction et de son abandon, localisation exacte de
l'usine à gaz, plan du réseau des conduites, précisions sur d'autres
utilisations que l'éclairage...
Lecteurs, si vous avez des informations ou
des documents sur ces questions, merci de m'en faire part !
Henri
Ehret, janvier 2024.
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l'auteur.
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