RACINES ALSACIENNES.

Biographie d'Aloyse Ehret.

Tableau généalogique Ehret-Lévêque.

(sauf indication particulière, les illustrations sont des photos de famille, des cartes postales et des photos de l'auteur.)

Aloyse Ehret.

 

Mon père, Aloyse Ehret, naît à Oberbruck en 1904. Il est le cinquième enfant et le plus jeune des trois garçons de ses parents, Victor Ehret et Marie Weiss.

Les ascendants Ehret sont tous issus de la haute vallée de la Doller. Le plus lointain ancêtre connu, Henricus Erhart, est né vers 1596 à Kirchberg. Ses descendants habitent Kirchberg ou Wegscheid pendant plusieurs générations. La plupart sont agriculteurs, tisserands, mineurs de fer. On trouve aussi un batteur d'or au milieu du XVIIIe siècle.

En 1761, le fils de Joannes Michael Erhart est inscrit sous le nom de Ehret sur l'acte de baptême, patronyme que porteront ses descendants. Parmi eux, Antoine Ehret, né à Wegscheid, va s'établir à Dolleren avec son épouse Catherine Lötscher de Masevaux. Ce sont les parents de mon grand-père, Victor Ehret.

 

Victor Ehret, le père d'Aloyse, est né en 1863 à Dolleren au foyer de Antoine Ehret (1822-1886) et de Catherine Lötscher (1826-1879). Bien qu'ayant quitté l'école dès l'âge de onze ans, il est doué d'une bonne calligraphie qui lui permet d'occuper un poste d'employé aux écritures dans les bureaux de la filature Zeller. Mais la paie est misérable et, bien que César Weiss, le directeur de l'usine, soit son cousin par alliance, Victor ne peut espérer aucune promotion après 1914, étant donné qu'il ignore le français. Son salaire, se souvenait sa dernière-née, suffisait tout juste à payer le pain de sa nombreuse famille. Victor trouve des compléments de ressources en s'adonnant à côté de son emploi à plusieurs activités annexes. Ainsi, il s'est initié en autodidacte à la réparation des réveils et des montres. Il s'occupe aussi de remonter l'horloge de l'église, tâche qui faillit lui coûter la vie. En effet, le 25 novembre 1944, en pleins combats de la Libération, il va, malgré ses 81 ans, remplir son office quelques minutes seulement avant que l'armée allemande fasse sauter le pont en face de l'église. Revenu à son domicile, mais sans avoir le temps de se mettre à l'abri, le souffle de la déflagration le jette à terre dans l'entrée de la maison. Heureusement, Victor en est quitte pour la peur et les admonestations de son épouse.

 

 

 

 

 

Victor Ehret, jeune. 

Signature autographe de Victor. 

Par ailleurs, Victor manie ciseaux et rasoir en faisant office de coiffeur pour quelques habitués. Le dimanche matin est le moment traditionnel où il fait la barbe des hommes du quartier avec blaireau et coupe-choux. Et en cas de décès, les villageois le sollicitent pour raser le défunt au moment de la toilette funèbre.

Enfin, Victor aime et pratique la musique. Il tient l'orgue lors des vêpres et autres offices secondaires. Pour travailler son doigté à la maison, il utilise un clavier adapté à la cithare, son instrument de prédilection. Il prend plaisir à initier ses petits-enfants au solfège.

Victor a laissé le souvenir d'un homme doux et affable qui élevait rarement la voix. Sa première petite-fille Madeleine se rappelle cependant encore du véhément "Gaissaverdorià*!" lâché par son grand-père le jour où elle avait malencontreusement plié une partition musicale. *juron alsacien, forme édulcorée de "Kritzaverdorià", "verdorià" étant déjà une forme adoucie de "verdàmmi" qui signifie "(Dieu) me damne !"

En 2007, Charles, l'un de ses petit-fils, octogénaire, se rappelait encore avec émotion les dimanches après-midi de son enfance où il se rendait à pied de Wegscheid à Oberbruck pour le bonheur d'aller aux vêpres avec son grand-père. 

 

1913 : Victor Ehret,  (2e à partir de la gauche) avec le conseil de fabrique de la paroisse, à l'occasion de la première messe de Louis Weiss (1er à droite), fils du cousin de son épouse. 

(Photo mise à disposition par Mme Annette Gouazé née Rusterholtz)

 

Marie Weiss, la mère d'Aloyse, née à Oberbruck en 1866, est la fille de Barthélemy Weiss (1813-1888) et de Madeleine Beck (1832-1893). 

Barthélémy Weiss vers 1845.

Signature de Barthélemy Weiss :

Barthélemy Weiss a laissé à Oberbruck le souvenir d'une forte personnalité. Employé dans l'usine textile locale, il est commis de fabriquant en 1846, contremaître puis directeur de filature en 1857. En 1838, il épouse Angélique Zimmermann d'Oberbruck qui lui donne cinq enfants. En 1855, lors de l'épidémie de choléra qui a frappé la haute Alsace, Barthélemy perd en l'espace d'un mois et demi son épouse et ses deux filles aînées âgées de 18 ans et 14 ans. Veuf en charge de trois jeunes enfants, Barthélemy se remarie la même année avec Madeleine Beck, de 19 ans sa cadette. Née à Sentheim, Madeleine habite à Oberbruck où elle est ouvrière de filature. Cinq enfants également naissent de cette union. Sur les dix enfants de Barthélemy, quatre entrent dans les ordres, deux émigrent aux États-Unis. 

La famille habite à mi-pente de la rue du Buhl, juste à côté de l'usine. À la fin du XIXe siècle, après la mort des deux époux, leur maison est rachetée par la société Zeller Frères qui en fait un local technique pour sa production électrique. Pour cette raison, elle est appelée "Dynamo" par les villageois pendant une bonne partie du XXe siècle. Aujourd'hui, ce bâtiment rénové est le foyer communal.

Ses petits-enfants se souviennent de Marie Weiss comme d'une maîtresse femme, fière, intelligente et autoritaire. 

Avant son mariage, Marie avait travaillé comme bonne à Paris. Pour cette raison, elle est l'une des rares personnes du village sachant parler le français. Être de ce fait l'interlocutrice de Madame la générale Zeller flatte un amour-propre déjà bien développé. Malgré la modestie de la situation de Victor, Marie aime à dire : "Mon mari est un employé !" pour se démarquer de la classe ouvrière. Marie souffre de quelques manies qui ne lui attirent pas forcément la sympathie des villageois. Ainsi lorsqu'elle fait ses courses à l'épicerie-boulangerie, elle ne veut pas être servie à son tour et préfère laisser passer les autres clientes avant elle. Elle se met à l'écart et attend pour être servie d'être seule dans le magasin, tout en observant les achats des autres.

La philosophie de vie de Marie dénote par rapport aux valeurs communes dans le village. Lorsqu'un de ses enfants se désole du prix du lait à payer au paysan, Marie déclare :  "Oui, mais pour ce prix, nous avons une vie agréable !" 

Ce trait de satisfaction cache pourtant de plus amères réalités : la vie de Marie a été marquée par les deuils et la dureté de l'existence. Elle avait perdu son premier enfant à l'âge de 2 ans, puis son deuxième à l'âge de 4 ans. Ensuite, elle en avait élevé huit autres, nés en l'espace de quinze ans, pendant lesquels elle allaitait chaque bébé jusqu'à l'arrivée du suivant. En 1933, sa fille Madeleine est emportée par la tuberculose à l'âge de 34 ans et en 1937, sa fille Hélène est tuée dans un accident de voiture à l'âge de 32 ans. Avec le poids des ans et des épreuves sont venues la lassitude et l'acrimonie.

 

 

 

 

Marie Weiss, vers 1898, avec un de ses premiers fils.

(Photo mise à disposition par Mme Annette Gouazé née Rusterholtz)

 

1943 : Victor et Marie fêtent leurs noces d'or, entourés de leurs enfants, gendres et belle-filles et de leurs 18 petits-enfants. Cinq autres naîtront par la suite. Aloyse est le premier à gauche.

 

Pendant plusieurs années, Victor et Marie ont été les doyens d'Oberbruck, statut que Marie n'oubliait jamais de préciser à ses interlocuteurs. 

Victor décède en 1948, Marie en 1949.

La tombe de Victor et Marie au cimetière d'Oberbruck.

Victor et Marie ont perdu quatre enfants de leur vivant, deux en bas-âge et deux à l'âge adulte.

 

           La maison paternelle d'Aloyse vers 1937...                              ... et aujourd'hui.

 

Le jeune Aloyse grandit dans le dénuement d'une famille nombreuse aux maigres revenus. Ses parents élèvent huit enfants à une époque où n'existent ni les allocations familiales ni la Sécurité Sociale. Le confort de vie est minimal ; il n'y a pas d'eau courante dans la maison et les enfants vont pieds-nus en été et en sabots en hiver. On achète à crédit chez un boulanger-épicier sans états d'âme en cas de défaillance. Longtemps s'est raconté dans la famille l'épisode dramatique de la visite d'un huissier qui a failli saisir la cithare achetée par le fils aîné avec ses premières économies. 

Dès leur sortie de l'école communale, les enfants doivent gagner leur vie et contribuer au budget familial. Pour les garçons, c'est l'usine où ils commencent par être manœuvres, pour les filles, c'est soit la filature, soit le placement comme bonnes dans des familles bourgeoises où, logées et nourries, elles peuvent envoyer leurs gages à leurs parents. Ce n'est qu'avec l'appoint des salaires des enfants que les parents arrivent à finir de payer leur maison achetée en 1904.

Aloyse a 10 ans quand éclate la Première Guerre mondiale. Dès les premiers jours de la guerre, l'armée française occupe la haute vallée de la Doller. D'un jour à l'autre, le français remplace l'allemand à l'école et c'est un soldat français qui fait la classe. Quatre ans après, Aloyse obtient pourtant son certificat d'études dans cette nouvelle langue.

Aloyse en 1912.

(Photo mise à disposition par Mme Annette Gouazé née Rusterholtz)

 

À 15 ans, le jeune garçon trouve du travail à l'usine Vogt de Niederbruck. Il y restera plus de 50 ans, se dévouant sans faille à l'entreprise. Affecté lors de l'embauche à des tâches de simple manutention, il occupe peu à peu divers postes plus qualifiés, acquérant ainsi des compétences techniques variées. Puis, pendant plus de 30 ans, il remplit la fonction de magasinier jusqu'à sa retraite en 1969.

 

 L'usine Vogt de Niederbruck au début du XXe siècle. Elle produit des pièces en cuivre d'où son appellation locale de "Kupferschmetta"* mais aussi du matériel de forage comme on le voit à gauche sur la photo. Son propriétaire, Joseph Vogt, est l'un des découvreurs de la potasse en Alsace.

 

* Kupferschmetta : Kupferschmiede, forge de cuivre.  (extrait de carte postale)

Ses rares loisirs, le jeune homme les consacre au sport au sein de la société de gymnastique paroissiale créée à Oberbruck en 1922. Il excelle dans les concours où il récolte médailles et diplômes à la barre fixe. Mais une sérieuse blessure aux mains en finale du championnat d'Alsace met fin à sa carrière. C'est aussi un bon cycliste : il est vrai qu'à l'époque le vélo est le seul moyen de locomotion personnel pour un ouvrier.

À 20 ans, c'est le service militaire. Aloyse est incorporé au 47e régiment d'artillerie de campagne à Héricourt (Haute-Saône). Il est marqué pour toute sa vie par cette immersion dans un environnement francophone qui lui fait mesurer le fossé entre sa personnalité alsacienne et la culture française. Au cours de son service, son unité participe à des manœuvres au camp de Valdahon dans le Doubs. Ce déplacement restera pour Aloyse le plus lointain éloignement de son village natal.

Aloyse, gymnaste à 19 ans.

Aloyse, debout au centre du groupe.

 

 

 

Aloyse en famille vers 1926.

Au premier plan, assis , les parents, Victor et Marie.

Debout, les enfants, de gauche à droite : Hélène, Élisa, Madeleine, Maria, Charles, Cécile et Aloyse. Auguste, le fils aîné, prend la photo. 

 

Les cinq sœurs d'Aloyse vers 1930, de gauche à droite Hélène (1905-1937), Maria (1912-2000), Madeleine (1899-1933), Cécile (1907-1989), Élisa (1902-1988)

 

 

 

 

 

 

 

 

Aloyse (premier à gauche) s'investit dans la Société de gymnastique de son village, mais cessera toute activité sociale après la guerre, se consacrant exclusivement à sa famille et au travail à l'usine et aux champs. 

 
 

Continuer avec la biographie d'Anne Lévêque.

 

  Autres étapes du voyage au pays des ancêtres :  

  Racines : page d'introduction.                   Tableau généalogique Ehret-Lévêque.

  Racines alsaciennes : Localisation.  

  Racines alsaciennes : Nos ancêtres alsaciens et vosgiens dans leur cadre de vie.  

  Racines franc-comtoises.                           Tableau généalogique Bassenne-Bouhelier.

 

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