Document.
1870 : Victor Zeller défend l'industrie cotonnière alsacienne devant la Commission parlementaire.
Source : Enquête parlementaire sur le régime économique, Industries textiles. T 2. gallica.bnf.fr/Bibliothèque Nationale de france. |
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Les
circonstances :
Jusqu'en 1860, l'industrie française est protégée par des droits de douane très élevés. À l'abri de la concurrence étrangère, elle se développe et prospère. Mais en même temps, peu aiguillonnée par la concurrence, elle prend du retard sur ses rivaux européens, principalement l'Angleterre, tandis que les prix élevés sur le marché intérieur pèsent sur le pouvoir d'achat des Français. En 1860, véritable coup de tonnerre dans le ciel économique français, Napoléon III rompt avec le protectionnisme. Le traité de commerce franco-britannique (Traité Cobden-Chevalier), négocié dans le plus grand secret, est signé pour dix ans. Par ce traité, la France supprime toutes les prohibitions sur les produits manufacturés et les remplace par des droits réduits. Par exemple, pour les filés de coton, ils ne sont que de l'ordre de 5 à 10 %. Destinée à stimuler l'économie française en la confrontant à la concurrence et en favorisant l'approvisionnement en matières premières à bas prix, cette nouvelle politique commerciale suscite une vive opposition de nombreux industriels du textile qui voient le marché français envahi par les productions anglaises à faible coût. La crise s'installe chez les filateurs et les tisseurs ; certains baissent le salaire de leurs ouvriers pour rester compétitifs, d'autres sont acculés à la fermeture de leurs établissements. Victor Zeller résume ainsi les effets du traité sur l'entreprise familiale : "Je n'hésite pas à vous dire, messieurs, que notre établissement, fondé en 1819, a prospéré sous la direction du chef de notre maison jusqu'en 1860. À cette époque, une modeste fortune avait récompensé les efforts de 40 années de travail, et depuis 1860, cette fortune, si péniblement amassée, a été presque anéantie." À l'approche de l'échéance du Traité, les offensives contre le libre-échange se multiplient. La politique commerciale du gouvernement est attaquée par l'opposition menée par Thiers et Pouyer-Quertier. Au printemps 1870, le gouvernement d'Émile Ollivier réunit des commissions parlementaires chargées d'étudier les effets du traité sur l'industrie et la marine. Victor Zeller dépose devant la sous-commission de l'industrie du coton en tant que délégué de l'industrie alsacienne. Devant cette sous-commission paraissent les grands noms de l'industrie haut-rhinoise de l'époque : Dollfus, Engel, Gros, Hartmann, Herzog, Koechlin, Lauth, Steinbach, Schlumberger, Thierry-Mieg. En plus de Victor Zeller, la vallée de Masevaux est également représentée par Louis Bian, propriétaire du tissage de Sentheim. La déposition de Victor Zeller dénonce l'état d'infériorité de l'industrie textile française que le traité de 1860 a livrée sans défense à l'invasion des produits anglais et plaide pour le rétablissement de droits de douane élevés. Ses analyses sont d'autant plus pertinentes qu'il a passé plusieurs années en Angleterre et qu'il connaît parfaitement les atouts des concurrents britanniques. Dans sa critique du libre-échange, l'industriel d'Oberbruck rejoint l'opinion des autres filateurs et tisseurs, tant Alsaciens que Normands. Mais il se heurte aux riches industriels mulhousiens de l'impression sur tissus favorables au Traité de 1860 qui leur a permis des affaires florissantes.
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Extraits du rapport de la Commission parlementaire. |
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Main d'œuvre et climat. | |
M.
le Président. M.
Zeller a demandé à donner quelques renseignements sur les prix de
revient des filatures anglaises. M. Zeller a la parole. Mais
je viens parler ici
au nom de l'industrie
cotonnière en général, qui est
si intéressante et si importante dans notre
pays. C'est
avec regret, messieurs, mais avec conviction aussi,
que je viens déclarer
que jamais nous ne parviendrons à avoir une
classe ouvrière aussi apte, et
aussi active que la classe
ouvrière anglaise. C'est du
moins, mon opinion. M.
Zeller. En Alsace, monsieur, à
Oberbrück. M.
le Président. Vous êtes tisseur ?
M.
Zeller. J'ai un établissement de filature,
qui comprend 14 000 broches
et 650 métiers à tisser. M. de Forcade. Ainsi, monsieur, vous croyez que pour le tissage, l'ouvrier français ne vaut pas l'ouvrier anglais ? M.
Zeller. Non, monsieur, non,
et je parle d'après ce que
j'ai vu ! M.
de Forcade. Même
pour le tissage des tissus
fins, des mousselines ? M.
Zeller. Pour les tissus fins comme
pour les tissus ordinaires, je crois
l'ouvrier anglais supérieur au
nôtre. Cette conviction s'est de
plus en plus enracinée
en moi depuis quinze
ans que je suis de
retour d'Angleterre et que je dirige
ma filature en France. La race,
la nature même de l'ouvrier
anglais sont la raison
dominante, j'ajouterai aussi, ce
que M. Pouyer-Quertier vous a déjà
dit, que, toutes les
années, nous voyons nos
hommes les plus robustes, les
plus intelligents, enlevés par la
conscription, et les ouvriers
se résignent rarement, dans nos
campagnes, à rentrer dans
les filatures lorsqu'ils sortent du
régiment. Ceci nous arrive tous
les ans, messieurs, généralement
nos meilleurs fileurs, qui
ordinairement sont les plus robustes,
les mieux constitués, nous
les voyons partir. Autre
cause d'infériorité contre laquelle
aucune force humaine ne
pourrait lutter. Cette cause,
messieurs, je la considère
comme très importante, bien que peut-être
elle puisse ne pas avoir
la même importance à vos
yeux. J'ai
pu remarquer, pendant mon
séjour chez les Anglais, combien
leur
climat est plus
favorable que le nôtre
à la filature des cotons.
Il n'est pas un filateur français
qui n'ait remarqué combien
il est difficile de marcher
convenablement pendant les grandes
sécheresses de l'été ou
de l'hiver. Cet inconvénient se
manifeste tout aussi bien dans
l'opération du tissage que
dans celle de la filature,
peut-être davantage. Oui,
messieurs, quand j'ai quitté
l'Angleterre, le filateur d'Oldham chez lequel
j'étais, m'engageait à employer
le même coton qu'il
employait dans sa fabrique.
J'ai essayé de le faire dans
celle que j'étais appelé à diriger
en France et avec ce
même coton je n'ai pas
pu y arriver. M. le Président. À cause de la sécheresse de la température ? M. Zeller. Oui, monsieur, pendant les temps de sécheresse, il n'y a pas moyen de travailler convenablement. On a essayé de divers remèdes ; ainsi on arrose fréquemment en été, on fait quelquefois, en hiver, circuler des jets de vapeur dans les salles. Le coton est une matière tellement hygrométrique, tellement sensible aux variations de la température, que ces conditions deviennent un obstacle quelquefois très sérieux. [...] Celle infériorité est évidente pour moi. C'est ainsi que lorsque le syndicat de l'Est vous accuse une moyenne de 9,7 ouvriers par 1 000 broches, les établissements bien organisés en Angleterre n'en emploient que trois et demi, peut-être même que trois quarante-cinq centièmes, pour le même nombre de broches. [...] C'est
ainsi que
lorsque nous
sommes obligés
d'employer 70
ouvriers pour
100 métiers
à
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Pouyer-Quertier : Auguste Pouyer-Quertier (1820-1891) industriel textile normand, en 1870 député de la Seine Inférieure, ministre sous la IIIe République. l'Angleterre : chez Platt Brothers à Oldham près de Manchester.
M. le Président : Charles Paulmier, (1811-1887) député du Calvados. Oberbruck : orthographié avec un tréma dans le texte français alors qu'il n'y en pas dans les textes allemands ! M. de Forcade : Adolphe de Forcade Laroquette (1820-1874) plusieurs fois ministre pendant le Second Empire. En 1870, député du Lot et Garonne.
climat : l'humidité de l'air influe le bris du fil ; plus l'air est sec et plus le fil se casse, ce qui nécessite davantage d'interventions de la main d'œuvre.
28 : grosseur du fil. Le numéro indique la longueur en kilomètres d'un kilogramme de fil.
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Coût de l'investissement, de l'énergie, des transports. | |
La broche nous revient généralement en France pour une filature en chaîne 28, à 45 ou 50 fr., tous frais d'établissement compris ; aux Anglais elle revient à 23 ou 24. Je pourrais presque dire que c'est le chiffre le plus bas. Notre plus proche voisin, M. Erhard, (je ne sais pas s'il est présent à la réunion), a construit, il y a peu d'années, une filature, dont chaque broche lui est revenue à 63 fr., mais les Anglais, eux, construisent leurs filatures à 24 ou 25 fr. la broche.
La houille
nous revient
à 20
fr. à
Mulhouse, par
tonne, à
26 fr.
50 dans
notre établissement
; à 32
fr. aux
Vosgiens. Les
Anglais la
payent 8
fr. 55
rendue à
leur usine
devant leur
chaudière ;
du moins
la filature
anglaise dans
laquelle j'étais,
la payait
ce prix
là. Le
syndicat de
l'Est a estimé
à 80
centimes la
façon du
kilogramme de chaîne 28
: c'est
à mon avis un
minimum qu'atteignent
peu de
filateurs ;
car, pour
notre part,
nous estimons
cette façon
à 88 centimes
et elle
nous revient à
ce prix.
Les Anglais
travaillent à
51 centimes par
kilogramme. Je
ne terminerai
pas sans
revenir sur
les dépositions
de MM.
les imprimeurs
qui ont
énoncé pour
leurs filatures
et leurs
tissages des
bénéfices si
considérables. Je
ne me
permets pas
de contester
leurs chiffres,
mais je
ne croirai
jamais que
ce ne
soit pas
par suite
d'opérations commerciales
heureusement
et habilement
conduites qu'ils
sont arrivés
à d'aussi
beaux résultats.
Puisque
M. Pouyer-Quertier
vous demande
de composer
une sous-commission
appelée à
constater les
désastres qui
ont frappé
la Normandie,
je vous
demanderai de
l'envoyer en
Alsace. Elle
y trouvera
les mêmes
calamités, les
mêmes ruines,
et elle
pourra constater
que si
les imprimeurs
se sont
enrichis, les
filateurs et
les tisseurs
se sont
presque tous
ruinés.
J'appellerai, avant
de terminer,
l'attention de
la Commission
sur la
situation d'infériorité
dans laquelle
nous laisse
l'inexécution des
promesses de
1860. Je
ne parle pas
pour notre
établissement, qui
est au
fond d'une
vallée, je
n'ai pas
la prétention
de voir une
voie ferrée
pénétrer jusqu'à
nous ; mais
à 6
kilomètres de nos
établissements est
notre
chef-lieu
de canton,
très important comme industrie
; ce chef-lieu
de canton
se trouve
lui-même à 6 kilomètres
du chemin de
fer. Nous demandons
depuis
longtemps à être reliés
sans avoir
encore rien
pu obtenir à
ce sujet.
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Erhard : Victor Erhard, industriel possédant une filature à Masevaux et un tissage à Rougemont.
Jean Dollfus : président du syndicat des imprimeurs du Haut-Rhin. imprimeurs : industriels qui font de l'impression sur tissu. Contrairement aux filateurs et aux tisseurs, ils profitent du traité de 1860 qui leur permet d'acheter du tissu à bas prix puis de l'exporter imprimé avec une forte plus-value.
notre chef-lieu de canton : Masevaux. En 1870, le chemin de fer s'arrêtait à Sentheim. Il arrivera à Masevaux en 1884 et à Sewen en 1901. |
Prix des machines. | |
M. Deseilligny. M.
le Président,
je voudrais
demander à M.
Zeller, qui
paraît si
compétent dans toutes
ces questions,
comment il
explique une
différence aussi
grande dans
le prix
de la
broche en
Angleterre et
en France
; j'ai
toujours entendu
parler d'une
différence, mais
jamais je
ne l'ai
entendu
mentionner si
forte ?
M. Deseilligny. Mais
ne peut-on
importer des
machines anglaises?
M. Deseilligny.
Je demanderai
à M.
Zeller de préciser
un peu,
si c'est
possible, ce
que représentent,
à peu
près, les
frais de transports
et les droits d'entrée
? Il n'est
pas possible
de ne
pas être frappé
d'une différence
comme celle
qui existe
entre 24
fr. par
broche en
Angleterre, et
50 fr.
par broche
en Alsace.
M. Jean Dollfus.
J'ai une
réponse très
précise à donner,
à propos
des machines.
Mon beau-frère,
M.
Koechlin,
est le
premier constructeur
de machines de
filatures en
France ; il
a construit
à peu
près toutes
les filatures
de notre
région ;
or, il
a été question,
pour le
cas où
les admissions
temporaires
seraient retirées, de fonder
une grande
filature qui
serait créée
par les
imprimeurs ;
alors, M. Koechlin est
venu me
proposer de faire
cette filature,
le terrain
compris, ainsi
que les
bâtiments, et
le moteur, tout
absolument enfin,
clefs en
main, à 36
fr. la broche.
Je le
répète, tout
était compris
et c'était
une filature
pour chaîne
28. En
outre, ces
messieurs ont
construit tout récemment pour la maison Steinbach,
Koechlin et Cie, une
filature qui
a coûté à peu près ce même
prix. Mais enfin,
voici qui
est positif :
M. André
Koechlin a
offert de
faire une filature à
36 fr.
la broche, terrain
et tout
compris. [...] M. Jean
Schlumberger. Comme
constructeur, je
n'entreprendrais pas
une filature
chez nous,
à Guebwiller, à moins
de 50
fr. par
broche, s'il
fallait
fournir le
terrain, les moteurs,
toutes les machines
nécessaires aux
numéros variés
qu'on exige,
etc...; jamais
je n'entreprendrais
une filature
de ce
genre à
des conditions
pareilles à
celles qu'on
a indiquées.
Je crois
que M.
Steinbach a
acheté ses
machines à
très bon marché,
mais qu'il
a été
obligé après
coup d'ajouter
beaucoup de
machines qui
ont élevé
le prix
de revient
de son
établissement. En
somme, je
crois que
le prix
de 50
fr. par
broche est
modéré. M.
le Président.
Dans
le prix
que vous
avez donné,
monsieur Zeller,
comprenez-vous celui
du terrain
? M. Zeller. Oui, si ce n'est l'acquisition, c'est au moins la location, car souvent en Angleterre, vous le savez, on ne peut avoir le terrain en propriété. Maintenant, si vous voulez me le permettre et si M. Édouard Koechlin le veut bien aussi, je lui ferai une question à laquelle il peut répondre s'il le juge convenable. Il a fait construire une filature par M. André Koechlin, je lui demanderai ce qu'elle a coûté. M.
Édouard Koechlin.
47 à 48 fr. M.
Zeller. Vous
voyez, messieurs,
c'est une
filature toute
neuve, qui
fait les
mêmes numéros
que nous. |
Deseilligny : Alfred Deseilligny (1828 - 1875), directeur des forges du Creusot, député de l'Aveyron en 1870. Ministre sous la IIIe République.
Koechlin : André Koechlin, constructeur de machines à Mulhouse, fondateur de la SACM
Jean Schlumberger : industriel à Guebwiller.
Édouard Koechlin : délégué du syndicat des filateurs et tisseurs de l'Est.
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Salaires des ouvriers, productivité. |
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M.
Deseilligny. J'ai
une seconde
question à
poser à
M. Zeller.
Vous ayez
eu la
bonne fortune, monsieur,
de pouvoir
comparer mieux
que personne
les conditions
de la
main-d'œuvre en Angleterre
et en
France. Ces conditions
que vous avez exposées
dépassent de beaucoup ce
qui était
dans ma
propre pensée
et sans
doute dans celle
de plusieurs auditeurs. Pourriez-vous
expliquer par
quelques circonstances
autres que
l'exposé même
des faits,
comment la
différence est
aussi forte
que dans
un rapport,
de 3
½ ou de 3,45 à
7 ou
8 ; quelles
sont les causes d'une
telle différence
et quelles
sont vos
explications
à ce sujet
? M.
Zeller. J'ai
pu constater que
l'ouvrier anglais
travaille beaucoup
plus que
le nôtre,
j'ai le regret
de le
dire ;
dans beaucoup
de cas, la
filature où
j'étais en
Angleterre, employait
un ouvrier
là où
nous sommes
obligés d'en
employer deux.
Le climat,
à mon
avis, est une
autre cause principale de cette
infériorité ; quand
l'air est continuellement humide, vous
pouvez faire
marcher une
paire de self-acting
de 1 200 broches
;
chacun, souvent,
avec un
fileur, un
rattacheur et
un bobineur,
jamais, chez
nous, dans
nos établissements,
cela n'est
possible. Nous
avons des
métiers de
1 240 broches, qui
sont dans
les meilleures
conditions, et
nous sommes
arrivés au maximum
d'économie d'ouvriers
dans l'Est,
eh bien !
nous avons 6
ouvriers au
moins par
mille broches. M.
Deseilligny. Quel est
le salaire
des ouvriers
anglais et français
? M.
Zeller. L'ouvrier
anglais gagne
plus. M.
Deseilligny. L'ouvrier
anglais gagne
le double,
dites-vous? Un
membre de
la Commission.
Y a-t-il
compensation
entre la
différence des
salaires et
la différence
du nombre
des hommes
et femmes
employés
? M. Zeller. Non. M.
Deseilligny. Dans votre travail, vous
indiquez trois hommes et demi par 1 000 broches,
je crois,
là où
en France
la proportion
est de
7 à
8 ; je
voudrais savoir
ce que
coûtent, en moyenne,
ces trois
hommes et
demi, comparativement
aux 7 ou 8 de
la France. [...] Il n'est, du reste, pas possible de comparer le mécanisme des paies anglaises à celui des nôtres. Nous payons, chez nous, l'ouvrier fileur et ses rattacheurs à la tâche. Chacun a un taux déterminé, tandis que généralement le fileur anglais perçoit la paie totale du travail de 2 métiers, et c'est lui, le fileur, qui a charge de se procurer des rattacheurs et bobineurs et qui les paie à sa guise. J'ai même vu en Angleterre des fileurs surveillant 4 métiers, dont les salaires leur étaient versés. Il est possible aussi de voir des fileurs arriver à des paies très élevées en s'attribuant à eux-mêmes une plus ou moins grande part de la paie totale. Je ne discuterai pas plus longuement ces chiffres, mais je m'appliquerai, une fois de plus, à dire que d'après mes informations les Anglais font pour 19 1/2 centimes le même numéro qui nous coûte à nous 30 centimes de main-d'œuvre, par kil. et que le prix total de façon et frais généraux qui nous coûte 85 centimes leur revient à 51 centimes par kil. Et il faut noter que les Anglais ne travaillent que 10 heures par jour pour arriver à ce résultat, tandis que, pour nous, la durée du travail est de 12 heures. J'admets parfaitement que le salaire individuel de l'ouvrier anglais soit plus élevé que le nôtre en Alsace, mais d'après des raisons déjà énoncées dans ma première déposition et sur lesquelles je ne reviendrai pas, ils ont un immense avantage dans la possibilité où ils se trouvent d'employer un nombre d'ouvriers beaucoup plus restreint que nous, pour le même nombre de broches. [...] Pour compléter la liste nécrologique des établissements cotonniers, commencée ici tout à l'heure par M. Lamer, je dirai qu'à Mulhouse, en ce moment, une filature de 16 000 broches se démonte, elle transporte 6 000 de ses broches à un autre établissement et livre à la ferraille les 10 000 qui lui restent ; une autre filature de coton de 20 000 est en train de se transformer en filature de laine. La position est donc aussi bien triste pour nous en Alsace, elle mérite certainement toute l'attention de la Commission. [...] Voilà,
messieurs, le
résumé de
ma déposition.
Je vous prie de
la considérer comme
l'expression d'une expérience acquise
par la pratique. |
self-acting : métier à filer renvideur automatique.
Lamer : filateur à Varengeville (Normandie) |
Épilogue : | |
Victor Zeller est entendu par la Commission à partir du 25 mars 1870 ; il y intervient une dernière fois le 20 juin. Le lendemain, 21 juin, est annoncée la candidature du prince allemand Léopold de Hohenzollern au trône d'Espagne. C'est le facteur déclencheur de la guerre franco-allemande qui éclate le 19 juillet 1870 quand la France déclare la guerre à la Prusse. Dans cette circonstance dramatique, la question commerciale n'est plus d'actualité. Les travaux parlementaires sont interrompus, les longs débats sur le libre-échange auront été vains. La défaite de la France entraîne l'annexion de l'Alsace à l'Empire allemand lors de Traité de Francfort de 1871. L'économie alsacienne est bouleversée. Coupée du marché français, elle doit s'adapter à l'espace du Zollverein qui lui ouvre de nouvelles perspectives mais la confronte aussi à la rude concurrence allemande. L'entreprise textile Zeller relève ce nouveau défi avec succès. Elle se développe dans le cadre allemand tout en créant, en 1879, de l'autre côté de la frontière, à Étueffont (Territoire de Belfort), une succursale qui lui permet de rester en contact avec le marché français. En France, le débat sur le libre-échange reprend pendant les premières années de la IIIe République et on assiste, comme dans toute l'Europe, à un retour progressif du protectionnisme. La loi Méline de 1892 marque la fin de la politique de libre-échange entamée sous le Second Empire. Henri Ehret, janvier 2011. |
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